Paris Salle Pleyel 05/18/2011 - et 19* (Paris), 29 (Wien) mai 2011 Thierry Escaich : La Barque solaire
Antonín Dvorák : Concerto pour violoncelle n° 2, opus 104, B. 191
Camille Saint-Saëns : Symphonie n° 3, opus 78
Gautier Capuçon (violoncelle), Thierry Escaich (orgue)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)
C’est autour de Thierry Escaich que l’Orchestre de Paris a bâti ce programme, qui sera également celui du deuxième des trois concerts qu’il donnera au Musikverein de Vienne à la fin du mois – non seulement l’organiste mais aussi le compositeur, qui fait son entrée au répertoire de la formation parisienne avec La Barque solaire (2008). La partition associe l’orgue et l’orchestre, non pas à la manière d’un concerto – il en a d’ailleurs déjà écrit deux – mais dans l’objectif d’élargir les couleurs de la palette instrumentale. Le titre renvoie à la barque sur laquelle Râ accomplissait son voyage diurne dans le ciel, d’où, presque tout au long de ces quatorze minutes, une activité fiévreuse et spectaculaire, une mobilité rythmique, une énergie paroxystique qui pourraient évoquer certaines pages de Messiaen si le langage ne semblait si convenu et si l’acoustique ne rendait les tutti excessivement denses, quelquefois même saturés.
S’il est loin d’être privé de prestations avec orchestre dans la capitale, comme en témoigne sa venue en janvier dernier avec celui de Birmingham, voici toutefois plus de huit ans que Gautier Capuçon n’avait pas été à l’affiche de l’Orchestre de Paris – c’était en novembre 2002 avec son frère Renaud dans le Double Concerto de Brahms. Cette fois-ci, il est invité seul, pour le Second Concerto (1895) de Dvorák: dans cette salle où les solistes ne parviennent parfois pas à s’imposer, le son du Matteo Gofriller (1701) se projette amplement et l’aisance de l’interprète impressionne. Mais le violoncelliste français ne se contente pas de ces atouts techniques et si son archet ne fléchit jamais, très droit et tenu, il n’en mise pas moins sur l’engagement et la fougue romantique, sur l’épopée et la légende, sur la couleur, au risque d’en faire trop dans les contrastes de dynamiques et de tempi et, dès lors, d’en paraître plus extérieur que véritablement impliqué – il est vrai que l’accompagnement ne résiste pas toujours à la tentation de rouler des mécaniques.
Avant de tenter d’apaiser un public enthousiaste en offrant son bis favori – une brève Marche de Prokofiev, arrangement de la dixième des douze pièces de son recueil pianistique Musique pour les enfants (1935) – Capuçon profite de la présence d’Escaich pour livrer une transcription de l’air «Mon cœur s’ouvre à ta voix» de Samson et Dalila (1877): voilà qui change avec bonheur de l’incontournable «Cygne», qu’il avait choisi en janvier dernier, d’autant que le violoncelle et l’orgue rendent à l’opéra les voix qui lui avaient manqué lorsqu’il avait été présenté la veille à Pleyel en version de concert.
Ce bis constitue en même temps une transition vers la seconde partie de la soirée: entièrement consacrée à une autre œuvre créée à Londres (comme le Concerto de Dvorák) il y a cent vingt-cinq ans jour pour jour, elle établit un parallèle entre Saint-Saëns et Escaich, non pas au travers de la mythologie, où Phaéton aurait pu répondre à La Barque solaire, mais de nouveau par l’alliage de l’orgue et de l’orchestre, de l’empereur et du pape – pour reprendre la plaisante métaphore filée par Berlioz dans son Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration modernes. Cité fort pertinemment par la note de programme de Claire Delamarche, il ne pensait pas que leur «singulier rapprochement» puisse être positif – «leur mission n’est pas la même, leurs intérêts sont trop vastes et trop divers pour être confondus» – et considérait que l’un finissait nécessairement par prendre le pas sur l’autre, s’indignant en particulier de ce qu’on puisse «étrangement rabaisser ce majestueux instrument» en le réduisant à un «rôle secondaire» lorsqu’il est mêlé «aux divers éléments constitutifs de l’orchestre».
Parvenant sans peine à démentir les craintes exprimées par Berlioz, Escaich a déjà joué la Troisième Symphonie (1886) en mars 2007 avec l’Orchestre de Paris à Pleyel; à la baguette, Michel Plasson avait alors laissé un sentiment mitigé, mais tel n’est pas le cas de Paavo Järvi: peut-être moins soucieux d’expression que de qualité de la réalisation instrumentale et de la mise en place, soignant particulièrement l’équilibre entre les pupitres, il ne se départit pas volontiers sinon d’une froideur ou d’une distance, du moins de cette objectivité qui le caractérise souvent dans le répertoire français. Et quand il l’abandonne, ici ou là dans le Poco adagio, c’est pour s’alanguir quelque peu, alors que cette musique ne demande qu’à s’épanouir avec fluidité. Même le Scherzo, plus incisif que mordant, aurait gagné à davantage de peps, celui qu’il insuffle au Finale, parvenant à éviter l’emphase en lui conférant une allure dramatique et conquérante. Mais par sa réussite instrumentale comme par sa tenue interprétative, cette Troisième se range parmi les meilleures entendues ces dernières années et apporte en même temps la confirmation de ce que le climat se maintient au beau fixe entre le directeur musical – déjà regretté à Cincinnati où il vient de faire ses adieux en se voyant décerner le titre de music director laureate – et la phalange parisienne.