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L’événement Ciccolini Paris Théâtre des Champs-Elysées 05/18/2011 - Wolfgang Amadeus Mozart : Sonates n° 11, K. 300i [331], et n° 13, K. 315c [333]
Franz Liszt : Danza sacra e duetto finale d’Aida – Isoldens Liebestod – Harmonies poétiques et religieuses: «Hymne de l’enfant à son réveil», «Miserere» et «Invocation»
Aldo Ciccolini (piano)
A. Ciccolini (© Alix Laveau)
Des problèmes de santé avaient contraint Aldo Ciccolini, attendu en octobre dernier à Pleyel, à renoncer et à laisser sa place à Abdel Rahman El Bacha dans le Quatrième Concerto de Beethoven. Mais le voici, cette fois-ci avenue Montaigne, pour un récital consacré à Mozart et Liszt: bien que cette date n’ait été annoncée qu’en cours de saison, il n’a pas eu de mal à (presque) remplir le Théâtre des Champs-Elysées. C’est que chaque apparition du pianiste français – qui l’eût dit il y a vingt-cinq ans? – constitue désormais un véritable événement. Un indice qui ne trompe pas: les confrères et consœurs sont venus, non pas certains de ses anciens élèves – Nicholas Angelich, Marie-Josèphe Jude, Jean-Yves Thibaudet – mais, par exemple, la jeune Delphine Bardin ou Anne Queffélec.
«Chaque note chante, parle, dit, et c’est beau.» Qu’ajouter au constat admiratif qu’elle énonce à l’issue de la première partie? Non seulement, à bientôt quatre-vingt-six ans, il demeure plus précis que bon nombre de ses cadets, faisant défiler les traits avec une parfaite régularité, mais il impose son style, une ascétique et adamantine économie de moyens résultant d’un Bechstein mat et d’un ambitus dynamique restreint. Ce refus des chichis aurait pu se traduire par un excès de raideur, mais il est tempéré par une faible contrainte d’exactitude musicologique: un tempo pour le moins souple, une expression volontiers romantique, aucune reprise – pas même dans les variations de la Onzième Sonate (1778) – sinon celles du fameux Alla turca. Et la simplicité n’est ici jamais synonyme de facilité – quel naturel, dans la cadence de l’Allegretto grazioso final de la Treizième (1778)!
Un peu voûté mais se déplaçant d’un pas assez vif et assuré, Ciccolini, toujours aussi impérial, salue lentement et méthodiquement devant lui, puis sur sa droite et sur sa gauche. Plus encore, peut-être, dans cette seconde partie consacrée au héros du clavier de l’année 2011, il campe solidement sur ses terres, ayant laissé des enregistrements de référence de sa musique. Puisant parmi les très nombreuses paraphrases et transcriptions lisztiennes, son premier choix porte également le regard vers 2013, bicentenaire des deux grands de l’opéra du XIXe, Verdi et Wagner: Danse sacrée et Duetto final d’Aida (1877) puis, attaca, Mort d’Isolde (1867/1874). Le piano gagne en couleur et en sonorité, sans perdre de vue la netteté du trait et la clarté des plans: la technique et la virtuosité demeurent au service de la musique et non de l’ostentation – et quelle ardeur juvénile dans la scène finale de Tristan! En attendant de donner l’intégrale des dix pièces des Harmonies poétiques et religieuses (1852), le 5 octobre prochain à Pleyel, il en a sélectionné trois: confondant d’aisance – les accords et arpèges s’égrènent comme si de rien n’était – et renonçant à la complaisance aussi bien qu’à l’emphase, il en exalte la ferveur et la dimension évocatrice.
Il ne reste plus qu’à admirer, en bis, la fermeté, les coups de patte et, surtout, une mélancolie infinie dans la dernière des quatre Mazurkas de l’Opus 17 (1833) de Chopin, puis la verdeur de Ciccolini dans sa chère «Andaluza», cinquième des douze Danses espagnoles (1890) de Granados. Certes prévisible, l’ovation debout, qui se prolonge malgré le retour des lumières, n’en est sans doute pas moins l’une des rares véritablement justifiées depuis le début de la saison.
Simon Corley
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