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Pas du tout rasoir

Paris
Théâtre du Châtelet
04/22/2011 -  et 23, 24, 25, 26, 28, 29*, 30 avril, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 11, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21 mai 2011
Stephen Sondheim : Sweeney Todd (création française)
Rod Gilfry*/Franco Pomponi (Sweeney Todd), Caroline O’Connor (Mrs Lovett), Rebecca Bottone (Johanna), Nicholas Garrett (Anthony Hope), Jonathan Best (Le Juge Turpin), John Graham-Hall (Le Bailli Bamford), Rebecca de Pont Davies (La mendiante), David Curry (Pirelli), Pascal Charbonneau (Tobias Ragg), Damian Thantrey (Jonas Fogg)
Chœur du Châtelet, Stephen Betteridge (chef du chœur), Ensemble orchestral de Paris*/Orchestre Pasdeloup, David Charles Abell (direction musicale)
Lee Blakeley (mise en scène), Tanya McCallin (décors, costumes), Lorena Randi (chorégraphie), Rick Fisher (lumières)


(© D. Lacharme)


La comédie musicale américaine a la cote à Paris. Sous l’impulsion de son directeur général, Jean-Luc Choplin, le Théâtre du Châtelet défend ce genre et s’en donne les moyens, comme le prouve cette nouvelle production de Sweeney Todd de Stephen Sondheim (né en 1930), jamais monté en France depuis sa création à Broadway en 1979. Le nombre de représentations explose littéralement : vingt-quatre, soit dix-huit de plus que pour A Little Night Music présenté avec succès il y a un an). Le parolier de West Side Story a conjugué son métier avec celui de Hugh Wheeler, auteur du livret d’après la pièce de Christopher Bond, tandis que Jonathan Tunick signe l’orchestration utilisée pour ce spectacle. L’ouvrage n’est toutefois pas complètement inconnu du public français, puisqu’il a fait l’objet en 2007 d’une adaptation cinématographique réalisée par Tim Burton avec Johnny Depp dans le rôle du barbier revenu, sous le nom de Sweeney Todd, dans son ancien salon afin d’assouvir sa vengeance.


De retour d’un bagne, Benjamin Barker entend éliminer le juge Turpin qui convoitait sa femme, Lucy, qui s’est empoisonnée de désespoir, à en croire Mrs Lovett. Le juge est devenu le tuteur de la fille du couple, Johanna, dont s’éprend Anthony. Bien sûr, afin de compliquer la situation, Turpin décide d’épouser la jeune fille. Ce synopsis, en fin de compte typique de l’opéra, prend un tournant épouvantable : le barbier s’engage dans une sorte de folie meurtrière puisqu’il égorge ses clients au moyen de son rasoir. Afin de faire disparaître les corps, Mrs Lovett, qui habite justement au rez-de-chaussée, a une idée diabolique mais apparemment efficace : hacher les cadavres puis les fourrer dans des tourtes, la viande étant devenue si chère, ce qui lui permet, par la même occasion, de relancer son commerce.


Voilà qui semble à la fois horrible et comique, un paradoxe judicieusement exploité grâce aux lyrics de Sondheim, d’une finesse et d’une drôlerie irrésistibles. Ainsi en est-il du duo d’anthologie à la fin du premier acte entre le démoniaque barbier et l’insouciante cuisinière durant lequel ils imaginent les différentes saveurs que pourraient avoir les macabres préparations si des hommes de différentes origines étaient utilisés. Le texte se savoure sans réserve tandis que la musique, plus efficace que sophistiquée mais toujours en situation, suscite l’intérêt, bien qu’il ne faille bien entendu pas y rechercher l’invention des grands ouvrages lyriques. Une place quantitativement importante est accordée au chant, confié notamment au Chœur du Châtelet qui, sous la conduite de Stephen Betteridge, incarne le peuple des bas-fonds londoniens.


Une mise en scène aussi imprécise que dispersée et un décor lambda auraient confiné cette pièce dans le grotesque et la trivialité. Il n’est est rien puisque Lee Blakeley, qui a collaboré à la production d’A Little Night Music, prodigue certes une bonne dose de rire et d’épouvante, encore que les égorgements copieusement sanguinolents suscitent davantage l’amusement que l’effroi, mais il n’omet pas ce que le propos comporte d’humain. Aussi le spectateur se prendra-t-il sans doute d’affection pour Sweeney Todd et Mrs Lovett. Les somptueux décors, sur deux niveaux superposés, et les costumes de Tanya McCallin illustrent à merveille l’atmosphère urbain et sordide de la Londres du XIXe siècle tandis que les lumières adéquates de Rick Fisher soulignent le climat sombre tout en apportant des touches de lumière bienvenues, notamment pour cette scène amusante dans laquelle Pirelli, excellemment croqué par David Curry, se confronte à Sweeney Todd dans un concours de rasage. Ce dernier gagne et, de surcroît, égorgera par la suite le pauvre italophone, sa première victime.


Le spectacle mérite donc le déplacement rien que pour la réalisation scénique, somptueuse et solidement ficelée, mais la distribution suscite également l’enthousiasme. Celle-ci réunit des talents connus aussi bien sur la scène lyrique traditionnelle que sur celle du musical. Il faudrait les citer tous – formidables Jonathan Best, John Graham-Hall et Rebecca de Pont Davies, respectivement dans les rôles de Turpin, Bamford et la mendiante – mais deux chanteurs, issus l’un de l’univers de l’opéra, l’autre de celui de la comédie musicale, déclenchent une copieuse ovation : Rod Gilfry interprète avec densité un Sweeney Todd plus fragile que terrifiant, et, surtout, Caroline O’Connor est véritablement exceptionnelle dans le rôle payant de Mrs Lovett, qu’elle incarne avec une précision et une aisance vocale stupéfiantes. Et dire que cette artiste australienne, qui joue ce personnage pour la première fois, a été contactée il y a un mois pour remplacer la chanteuse prévue à l’origine !


Deux orchestres se succèdent dans la fosse – un luxe car la création n’a été réalisée qu’avec une vingtaine d’instrumentistes : l’Ensemble orchestral de Paris pour la première moitié des représentations, Pasdeloup à partir du 11 mai. Familier du musical (Show Boat, West Side Story, Kiss me Kate, entre autres), David Charles Abell dirige des musiciens évoluant avec naturel, pour autant que la sonorisation permette d’en juger. Le chef américain imprime la tension dramatique que réclame l’art lyrique et varie les climats comme s’il s’agissait d’une musique de film. En fin de compte, ce thriller musical ou « opérette noire », terme préféré par le compositeur, ne flirte-t-il pas avec ces deux genres ?


The Stephen Sondheim Reference Guide
Le site de David Charles Abell
Le site de Rod Gilfry
Le site de Franco Pomponi
Le site de Caroline O’Connor



Sébastien Foucart

 

 

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