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En avril fais ce qui te plaît Paris Cité de la musique 04/28/2011 - John Cage : Aria
Karlheinz Stockhausen : Klavierstück X
Klaus Huber : Ein Hauch von Unzeit III
Bruno Maderna : Viola – Sérénade pour un satellite
György Ligeti : Dix pièces pour quintette à vent (extraits)
Francesco Filidei : Toccata pour piano amplifié
Dieter Schnebel : Visible Music I
Mauricio Kagel : Ludwig van (extraits)
Pierre Boulez : Domaines
Valérie Philippin (voix), Alain Damiens (clarinette), Sophie Cherrier (flûte), Philippe Grauvogel (hautbois), Alain Billard (clarinette basse), Pascal Gallois (basson), Jens McManama (cor), Samuel Favre (marimba, piano), Dimitri Vassilakis (piano), Frédérique Cambreling (harpe), Jeanne-Marie Conquer (violon), Christophe Desjardins (alto), Pierre Strauch (violoncelle)
Ensemble intercontemporain, Clement Power (direction)
Frédéric Stochl (mise en forme)
A. Damiens (© Aymeric Warmé-Janville)
Dans sa saison intitulée «Les utopies», la Cité de la musique ne pouvait que consacrer un cycle à «l’œuvre ouverte», à ces «libres explorateurs de tous les possibles»: sans attendre mai pour «faire ce qui te plaît», c’est déjà chose faite du 19 au 30 avril, au travers d’une projection et une table ronde, d’un concert éducatif et de quatre concerts sortant de l’ordinaire, à l’image de ce programme de l’Ensemble intercontemporain «mis en forme» par son contrebassiste, Frédéric Stochl, et suivi par un nombreux public – en placement libre, bien sûr.
Car si la configuration de la grande salle de la Cité de la musique demeure à peu près traditionnelle, à l’exception de la partie centrale du parterre, dégagée pour les musiciens, tout le reste de la première partie du programme bouscule les usages et accorde aux artistes des marges de manœuvre plus importantes qu’à l’habitude. Les membres de l’ensemble en tenue de ville sortent ainsi des rangs des spectateurs pour constituer des formations diverses sur scène ou en divers points du parterre. Les instruments et voix sont, le cas échéant, sonorisés, spatialisés et modifiés en temps réel. Sur un grand écran au-dessus de la scène sont projetées les partitions imagées et colorées de l’Aria (1958) de Cage (tour à tour dite, jouée et chantée avec gourmandise par Valérie Philippin), de la Sérénade pour un satellite (1969) de Maderna, de Visible Music I (1962) de Schnebel – où le chef, l’Anglais Clement Power (né en 1980) forme un duo humoristique avec la harpiste Frédérique Cambreling qui fait semblant de suivre sa gestique volontairement outrée – et de trois extraits de Ludwig van (1970) de Kagel – où l’on peut aussi s’amuser à essayer de reconnaître des bribes beethovéniennes plus ou moins intelligibles (Quatrième Symphonie, Leonore III et, pour conclure, Sonate «Les Adieux»).
Les pièces s’enchaînent souvent par tuilage alors même que certaines œuvres sont fragmentées en deux ou trois morceaux, comme le Klavierstück X (1961) de Stockhausen par Dimitri Vassilakis – avec gants spéciaux – ou Viola (1971) de Maderna par Christophe Desjardins. Avec un zeste de Ligeti – deux des Dix pièces (1968) pour quintette à vent – et de Huber – Un souffle d’intemporalité III (1972) – alternent diverses formes d’aléatoire et d’indéterminé, dans le texte ou dans l’effectif instrumental: paradoxalement, cette succession de tapas paraît pourtant un peu longuette (près d’une heure) et monotone. Mais le public frémit lorsque le percussionniste Samuel Favre, dont une mise en images dynamique saisit les mains en gros plan, se lance dans la Toccata pour «piano» amplifié de Filidei (1996), numéro virtuose où l’exécutant doit se limiter à frotter ou frapper le cadre et les touches – sans jamais les enfoncer.
La seconde partie de la soirée est exclusivement consacrée à Boulez, qui, indépendamment de la notion de work in progress, fut aussi un adepte de l’œuvre ouverte, et ce dès les deux «formants» de sa Troisième Sonate pour piano. Onze ans plus tard, dans Domaines (1968), l’essentiel des paramètres est toutefois strictement défini, puisque les interprètes peuvent seulement modifier l’ordre de présentation des douze séquences. La clarinette soliste – fantastique Alain Damiens – fait successivement face, depuis le parterre, à six «groupes» instrumentaux (allant de la clarinette basse seule au sextuor à cordes) désignés chacun par une lettre de A à F et installés tout autour de la salle, au premier et même au second balcon: dans un ordre défini par le clarinettiste, qui montre à l’écran les lettres qu’il choisit au fur et à mesure, les groupes répondent donc l’un après l’autre à son monologue. Parvenu à son terme, le processus s’inverse, comme un «aller-retour», et c’est désormais le chef, placé au centre du parterre, qui décide de l’ordre d’intervention des groupes, auxquels répond la clarinette, qui a donc le dernier mot lorsque l’œuvre prend fin. Ainsi décrit, le dispositif pourrait sembler formel et seuls les mathématiciens seront d’ailleurs en mesure d’indiquer le nombre théorique de combinaisons qu’offrent ses deux fois six sections: peu importe, car la séduction sonore est immédiate, mettant en valeur des alliages aussi plaisants qu’inattendus – quatuor de trombones (avec sourdines pour le «retour») ou bien hautbois, cor et guitare (amplifiée) –souvenir de cette Sonate pour hautbois, cor et clavecin que Debussy ne put jamais mener à bien?
Le site d’Alain Damiens
Simon Corley
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