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La Luisa rêvée d’Ermonela Jaho

Lyon
Opéra
04/19/2011 -  et 21*, 23, 25, 27, 29 avril, 1er mai 2011
Giuseppe Verdi : Luisa Miller
Riccardo Zanellato (le Comte Walter), Adam Diegel (Rodolfo), Mariana Carnovali (Federica), Alexey Tikhomirov (Wurm), Sebastian Catana (Miller), Ermonela Jaho (Luisa), Pascale Obrecht (Laura), Brian Bruce (Un paysan)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono (direction)
David Alden (mise en scène)


(© Jean-Louis Fernandez)


Après Paris, Lyon : la malheureuse Luisa voyage, cette saison. On ne peut, du coup, que se risquer au jeu de la comparaison. Pour la mise en scène, elle n’a pas lieu d’être : le travail de David Alden n’a rien à voir avec celui de Gilbert Deflo. Autant le Belge s’effaçait derrière l’œuvre, n’exploitant guère son idée de faire de l’opéra de Verdi l’histoire d’un paradis perdu, autant l’Américain veut imprimer sa marque sur la partition, qu’il voit surtout comme un drame social, où l’humble ne pèse rien devant le puissant, inscrit dans un décor sombre, voire lugubre. Une lecture politique aussi, mettant bien l’accent sur les ambitions du comte Walter qui, pour les satisfaire, a besoin de marier son fils à une duchesse Federica bien en cour. Ainsi retourne-t-il à Schiller et à Intrigue et Amour, d’où Cammarano a tiré son livret. Une lecture religieuse enfin, à travers cette église omniprésente, où l’on arrête Luisa et son père, où elle meurt avec Rodolfo. Mais rien ne sert de brandir une croix ou des missels au moment de l’arrestation, rien n’empêchera à la fin le poison de faire son effet dans la maison de Dieu. Cette Luisa, c’est un peu Le Diable et le Bon Dieu : Wurm ressemble d’ailleurs à un Méphistophélès surgi du cinéma expressionniste allemand, tandis que Miller devient un brave luthier confronté à une tragédie qui le dépasse. Les idées, malheureusement, se juxtaposent sans la moindre cohérence, avec des symboles peu lisibles – le cheval cabré, par exemple, symbole, comme l’aigle, de la puissance impériale ? La direction d’acteurs, de surcroît, sombre dans un expressionnisme souvent grotesque – le libidineux Wurm quittant les bras d’une prostituée pour ramper vers Luisa comme Alberich vers les Filles du Rhin, le Comte noyant dans l’alcool sa mauvaise conscience… Non moins grotesques les mouvements mécaniquement chorégraphiés du chœur. Une accumulation d’effets, du Regietheater à la petite semaine. On a connu David Alden plus inspiré – son Tannhäuser munichois, par exemple, disponible en DVD.


La distribution compense en partie les carences prétentieuses de la production. Ermonela Jaho, surtout, incarne une superbe Luisa. Avec des moyens moins opulents que Krassimira Stoyanova, un timbre plus liquide, une voix qu’on sent aussitôt plus fragile et plus légère, elle assume beaucoup mieux la dimension belcantiste du rôle, notamment les vocalises et les notes piquées de « Lo vidi, e’l primo palpito », plus fidèle au Verdi de 1849. L’émission reste assez souple pour que les registres ne souffrent pas des tensions de « Tu puniscimi, o Signore », où même le grave se projette parfaitement. Celle qui incarna une belle Juliette de Bellini à Avignon a également le sens des couleurs, sans parler d’un éventail dynamique parfaitement maîtrisé, anticipant, à travers cette Luisa sacrificielle, passée de la lumière aux ténèbres, sur le destin de Gilda et de Violetta. Adam Diegel ne s’avère malheureusement pas le partenaire idéal, plutôt son exact opposé : il ne connaît guère que la nuance forte, jusque dans « Quando le sere al placido », où il peine à calmer ses ardeurs vocales, peu soucieux de phrasé et de legato, s’époumonant à chanter Otello à la fin des deux premiers actes, au risque de s’effondrer. Bref, il se trompe de rôle, là où Marcelo Álvarez avait compris ce que ce révolté suicidaire devait encore à Donizetti. Sebastian Catana, en revanche, délivre une leçon de chant verdien : s’il a tendance à faire trop uniformément briller le métal de sa voix, il sait souder ses registres, concilier l’éloquence de l’articulation et le modelé du legato, père noble jusqu’au bout, tenant impeccablement sa ligne dans sa cabalette, à la différence du très inégal Franck Ferrari. Plus bas se situe le Walter de Riccardo Zanellato, à la fois moins assuré et moins stylé, pas assez sombre, en deçà de ce qu’on attend de ce père aussi tortueux qu’ambitieux. On lui préfère le Wurm d’Alexey Tikhomirov, monstre de noirceur venimeuse, authentique démon, au timbre mordant mais vocalement discipliné, qui déséquilibre donc un tandem infernal qu’on cherchait déjà en vain à Bastille – pour la raison inverse. Peu à dire, enfin, de Mariana Carnovali, impuissante à donner du relief et de la distinction à sa Federica acide, à l’opposé de Maria José Montiel.


Kazushi Ono galvanise l’orchestre lyonnais – très beaux solos instrumentaux - par sa direction embrasée, fait souffler sur la partition les grands vents du Sturm und Drang schillérien, exaltant la crudité de couleurs que Daniel Oren, pas moins théâtral, fondait et affinait davantage ; il lui arrive du coup de perdre la maîtrise de la masse sonore alors qu’il suit amoureusement les chanteurs et le chœur – excellent. Cette Luisa lyonnaise, c’est Ermonela Jaho qui la porte.



Didier van Moere

 

 

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