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A la scène comme à la ville

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/15/2011 -  et 17 (Paris), 19 (London) avril 2011
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
Natalie Dessay (Mélisande), Simon Keenlyside (Pelléas), Marie-Nicole Lemieux (Geneviève), Laurent Naouri (Golaud), Alain Vernhes (Arkel), Khatouna Gadelia (Yniold), Nahuel di Pierro (Le médecin, Le berger)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Edward Caswell (chef de chœur), Orchestre de Paris, Louis Langrée (direction)


L. Langrée (© Benjamin Ealovega)


Faisant fi des vacances scolaires, le calendrier est d’une grande générosité au Théâtre des Champs-Elysées: au lendemain d’un remarquable Parsifal venu de l’Opéra d’Etat de Bavière, voici maintenant Pelléas et Mélisande, également en version de concert, sans même l’artifice d’une «mise en espace». Rapprochement captivant s’il en est, car Debussy, qui avait une dent contre Wagner, n’en a pas moins toujours conservé une certaine admiration pour son «festival scénique sacré»: «C’est l’un des plus beaux monuments sonores que l’on ait élevés à la gloire imperturbable de la musique» – on voit que même ses compliments n’étaient pas nécessairement exempts de vacheries («monument», «imperturbable»).


Et quand il fallut écrire in extremis des interludes pour meubler des changements de décor plus longs que prévu à l’Opéra Comique, de fortes réminiscences «parsifaliennes» s’insinuèrent dans la partition, au point que certains, sous couvert d’authenticité à la version originale, choisissent de les exclure – tel n’est cependant pas le cas ici, où même la scène avec les moutons, pourtant souvent coupée, est maintenue. Quant à la pièce de Maeterlinck, dont le thème évoque bien sûr Tristan, elle fut publiée dix ans seulement après la création de Parsifal: si tenter d’établir un parallèle entre Mélisande et Kundry requerrait probablement des trésors de dialectique, la souffrance de Golaud vient comme en écho à celle d’Amfortas, la fraîcheur de Pelléas à celle de Parsifal.


Le calendrier est tout aussi favorable à Maurice Maeterlinck, car les deux plus importantes adaptations lyriques auxquelles son théâtre ait donné lieu sont jouées le même soir dans la capitale: la salle Pleyel accueille pour sa part, ici encore en version de concert, Ariane et Barbe-Bleue de Dukas, dont l’action précède celle de Pelléas, l’une des épouses du roi qu’Ariane s’efforce de libérer n’étant autre que Mélisande.


La principale attraction des deux représentations de ce Pelléas, qui traversera ensuite la Manche pour une soirée à Londres, réside dans l’occasion d’y entendre Natalie Dessay et Laurent Naouri. En effet, si le baryton a souvent incarné Golaud pour le public français, en particulier avenue Montaigne sous la direction de Bernard Haitink, aussi bien en mars 2000 en version de concert avec Anne-Sofie von Otter qu’en juin 2007 dans la mise en scène de Jean-Louis Martinoty avec Magdalena Kozená, la soprano n’a quant à elle abordé l’œuvre de Debussy que début 2009 au Theater an der Wien, dans une mise en scène de Laurent Pelly dont témoigne un DVD publié chez Virgin. On le sait, notamment depuis un légendaire Orphée aux enfers, ils forment un couple à la scène comme à la ville, mais comme la fréquence de leurs apparitions communes (et leur manière d’imposer leur «ticket» aux organisateurs de spectacles) ne peuvent en rien être comparées à la grande époque des «Bonnie and Clyde» du monde lyrique, Roberto Alagna et Angela Gheorghiu, la perspective de leur association a attiré un nombreux public hier soir.


Et puis ce n’est pas tous les jours que la Reine de la nuit ou Zerbinetta se mue en Mélisande. C’est d’ailleurs là que le bât blesse, car si Dessay possède un sens dramatique suffisamment développé pour composer un personnage de frêle et timide oiseau tombé du nid et si le medium se révèle d’une pure suavité, le grave, plus parlé que chanté, est à la peine, tandis que l’aigu n’est pas toujours flatteur ni la projection suffisante. En outre, le style n’apparaît pas très idiomatique, à l’image d’une «chanson de la tour» qui tend inhabituellement vers l’air d’opéra, mais il reste cette émouvante fragilité de petite fille, qui saisit au dernier acte. Le succès de Naouri ne souffre en revanche aucune contestation, tant vocalement – aisance sur l’ensemble de la tessiture, clarté et souplesse, mais aussi puissance si nécessair – que dramatiquement: il est certes des Golaud plus sombres ou torturés, mais le sien, piteux et pitoyable, humain, trop humain dans sa faiblesse, est caractérisé avec un grand soin.


Simon Keenlyside est un immense musicien – Paris n’est pas près d’oublier son Orfeo ou, plus récemment, son Wozzeck – mais il déçoit en Pelléas. Bras gauche en écharpe, le principal non-francophone de cette distribution, s’il avale parfois un peu les mots, n’est guère pris en défaut sur la prononciation – il a déjà chanté le rôle, notamment à Bastille en 2004 – et ne manque pas de vaillance, mais les registres sont tout sauf soudés, le timbre fluctue sans cesse, les aigus passent difficilement et la déclamation est précautionneuse. Les autres chanteurs contribuent à cette impression inégale et disparate: Marie-Nicole Lemieux, qui était déjà Geneviève avec Dessay et Naouri dans la production viennoise, confond symbolisme et vérisme, tandis qu’Alain Vernhes compense largement une certaine fatigue par un style irréprochable, campant un Arkel point trop pontifiant et trémulant. La Géorgienne Khatouna Gadelia, crédible et agréable en Yniold, et plus encore l’Argentin Nahuel di Pierro en médecin (et berger) – un futur Arkel de velours – semblent quant à eux très prometteurs.


Déjà dans la fosse en mars 1999 avec Georges Prêtre dans Pelléas, l’Orchestre de Paris retrouve Louis Langrée, qui l’avait dirigé, également salle Favart, en décembre 2009 dans Fortunio de Messager. Peut-être plus soucieux de chaleur et de couleur que d’émotion, prenant le temps de sonder profondément la partition, le chef en fait ressortir toute la modernité, la noirceur et la violence, celle de Golaud à l’égard d’Yniold (au troisième acte) puis de Mélisande (au quatrième), les contrastes entre l’ombre et la lumière, la forêt et l’eau, le château et le parc. Avec une formation de cette qualité, une version de concert permet de profiter encore mieux des subtilités de l’orchestre debussyste mais aussi de son impact, d’autant que Langrée n’hésite pas à le faire sonner dans les tutti.


Le site de Natalie Dessay
Le site de Marie-Nicole Lemieux



Simon Corley

 

 

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