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Krupp-Symphonie

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
03/17/2011 -  et 18 mars 2011
Sofia Goubaïdulina : In tempus praesens
Gustav Mahler : Symphonie N° 6

Gidon Kremer (violon)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marc Albrecht (direction)


G. Kremer


« Non seulement au fond Mahler cherche toujours à nous dire les mêmes choses, mais la façon dont il nous les dit nous devient toujours plus insupportable. Il ne connaît plus qu’un langage de cuivres qui ne nous parle pas mais nous beugle et nous fulmine dessus à tel point que l’on finit par se demander : à quoi bon tout ce bruit ? Mahler ne parvient pas à nous convaincre de la nécessité intérieure de ce qu’il nous dit, avant tout en raison des dimensions totalement démesurées de ses créations ». Peu après la création de la Sixième Symphonie de Mahler, cette exécution en règle signée en 1906 par un critique berlinois prête aujourd’hui à sourire au vu de la postérité du génie visé, mais force est d’avouer qu’à la réécoute de cette symphonie particulière dans l’itinéraire mahlérien on ne peut contester une certaine pertinence à ces objections. Cette « Krupp-Symphonie », cette musique de « chef d’orchestre », de « singe » (sic : les plumitifs de l’époque n’y allaient pas de main morte !) paraît renoncer définitivement à trier des idées dont la sincérité et l’urgence sont censées compenser l’absence d’organisation apparente. Peu importe sans doute, tant l’éruption est riche, impressionnante, bouleversante… Cela dit quelques brins de hiérarchisation voire de cérébralité ne sont jamais de trop dans l’exécution d’un tel torrent passionnel, et on avoue à titre personnel un certain faible dans cette symphonie pour des chefs rigoristes comme Pierre Boulez ou Michael Gielen, qui ont tenté d’y remettre un peu d’ordre.


Avec Marc Albrecht, apparemment décidé à nous en mettre plein les oreilles au cours des derniers mois de son mandat (la Sixième de Mahler mais aussi bientôt l’Alpensymphonie de Richard Strauss, et pour prendre congé les Gurrelieder de Schoenberg…) on n’est en revanche pas du tout certain que cette rationalité de l’approche ait été un souci majeur. Fort de ses huit cors, six trompettes, quatre trombones, cinq clarinettes, cinq hautbois, cinq bassons, cinq flûtes (!) l’attirail orchestral enchaîne les déflagrations, entretenant un chahut continuellement impressionnant, instrumentalement plutôt policé d’ailleurs (relativement peu d’accidents compte-tenu de la durée démesurée des mouvements) mais où l’on peine à situer ce que le chef a choisi de privilégier ou au contraire de relativiser. L’enthousiasme des musiciens, avec même une certaine exultation à se jeter successivement dans la mêlée, accentue bien cette spécificité romanesque que certains ont soulignée dans Mahler, avec ses répliques qui se coupent la parole, ses chocs psychologiques improbables et ses petites ou grandes catastrophes. Le problème est qu’ici le roman ne fait pas toujours sens, semble s’adonner excessivement à l’écriture automatique voire au cadavre exquis. Et l’œuvre ne doit plus son salut qu’aux trouées qu’elle se ménage elle-même: la scansion plus stable du Scherzo, l’effusion sentimentale de l’Adagio, éclaircies indispensables avant l’immense éboulement passionnel de l’Allegro moderato final. Même les coups de marteau (un effet toujours aussi marquant visuellement) n’exercent plus de véritable effet culminant, devenant simplement un élément bruyant supplémentaire. Reste que mener un discours cohérent est, rappelons-le, particulièrement difficile dans cette symphonie-là, voire impossible en quelques répétitions seulement.


Il est vrai qu’il a sans doute fallu aussi consacrer un temps non négligeable à la mise au point d’In tempus praesens de Sofia Goubaïdoulina, partition concertante relativement longue (plus d’une demi-heure) donnée en première partie de ce concert ambitieux. On y retrouve Gidon Kremer dans une forme inchangée, violoniste dont la plénitude et l’incisivité sonores ont toujours aussi peu d’équivalents et qui n’a pas son pareil pour magnifier des œuvres et des compositeurs que l’on pourrait assez facilement considérer comme secondaires. Succèdant à Offertorium (1980), long dialogue pour violon et orchestre créé à l’époque par Gidon Kremer avec un retentissement certain, In tempus praesens (2006/2007), commandé pour Anne Sophie Mutter grâce à des subsides de la fondation Sacher, tente de récupérer un certain nombre de recettes qui ont contribué au succès de l’œuvre précédente. Une ambiance relativement sombre est entretenue par les timbres triés de la formation orchestrale (pas de violons mais des pupitres d’altos et de violoncelles renforcés ainsi qu’un appareil de percussions relativement fourni), masse grave qui s’oppose à l’insistance lancinante du soliste dans l’aigu. Tout cela sonne riche et soigné –d’une intériorité slave de bon aloi et d’un potentiel de fascination indéniable – et en même temps pourrait assez vite paraître fabriqué et opportuniste, si la personnalité même de la compositrice imposait moins de respect. Le problème de ce type de musique riche en tournures modales et en archaïsmes consonants est qu’elle ne parvient pas toujours à transcender les procédés qu’elle exploite jusqu’à satiété, avec à la clé une impression persistante de remplissage. On se perd dans ces méandres un peu comme dans les bibliothèques oniriques sans milieu ni début ni fin chères à l’écrivain sud-américain Jorge Luis Borges, univers répétitif où à force de désorientation l’auditeur peut aussi abdiquer en s’abandonnant à de petits accès de somnolence discrets mais réparateurs.


En bis, Gidon Kremer nous sort de son sac à trouvailles une curieuse page qui commence dans la simplicité d’une sorte de sarabande en sol mineur façon Jean Sébastien Bach mais qui échappe rapidement à sa prévisibilité tonale, ruptures intéressantes qui n’altèrent jamais une impression de recueillement de bon aloi. Renseignement pris, il s’agissait d'une Sérénade, du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov.



Laurent Barthel

 

 

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