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Siegfried sans voix

Paris
Opéra Bastille
03/01/2011 -  et 6, 11*, 15, 18, 22, 27, 30 mars
Richard Wagner : Siegfried
Torsten Kerl (Siegfried), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Juha Uusitalo (Der Wanderer), Peter Sidhom (Alberich), Stephen Milling (Fafner), Qiu Lin Zhang (Erda), Elena Tsallagova (Waldvogel), Katarina Dalayman (Brünnhilde)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Günter Krämer (mise en scène)


(© Charles Duprat/Opéra national de Paris)


L’a-t-on assez dit et répété au risque de passer pour passéiste… ou ringard ? Pour le Ring, il faut des voix. En particulier à partir de la deuxième journée : certaines Brünnhilde ne vont pas au-delà de La Walkyrie, certains Wotan n’osent pas le Wanderer. Quant à Siegfried… Torsten Kerl, justement, n’est en rien le Heldentenor attendu. Il n’en a ni la puissance ni le métal et le début du premier acte révèle d’emblée ses insuffisances. Mais il le sait et gère admirablement ses moyens : à défaut de passer la rampe, les chants de l’acier et de la forge tiennent le coup, le deuxième acte sied évidemment à ce styliste aux phrasés raffinés et il arrive à la fin du troisième sans s’époumoner, dans un état de fraîcheur étonnante. On n’en a pas moins entendu un Lohengrin, pas un Siegfried : gageons que Le Crépuscule des dieux l’éprouvera moins. Le cas de Katarina Dalayman est peut-être plus grave, surtout si l’on considère la brièveté relative du réveil : le timbre est ingrat, le médium pèche par son insuffisance, alors que le rôle, s’il exige des aigus solaires qu’elle n’a pas, reste souvent assez central. La voix paraît hétérogène, vibre trop, sans parler de phrasés qui ne sont pas ceux d’une fille de dieu. Ne restent que la sincérité de l’engagement, la féminité assumée dans la retenue ou dans l’élan. Juha Uusitalo commence mal, peinant au premier acte à trouver son assise et ses notes extrêmes, mat de timbre, phrasant sommairement. Il trouve ensuite ses marques, affrontant le difficile troisième acte avec une autorité retrouvée, face à la belle Erda de Qiu Lin Zhang, dont on aimerait cependant les graves plus abyssaux et le vibrato moins présent. L’Alberich de Peter Sidhom est tel qu’en lui-même, moins noir que d’autres, moins puissant, mégalomane envieux à la haine rancie, mais bien chantant, à la différence de son frère : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, beaucoup plus exposé que dans L’Or du Rhin, abuse du Sprechgesang, dont il compense les facilités par l’aisance virtuose de la composition. L’Oiseau d’Elena Tsallagova, en revanche, est un régal et Stephen Milling a la couleur et les graves d’un Fafner digne de ce nom.


On n’attendait plus rien, après L’Or du Rhin et La Walkyrie, de la mise en scène de Günter Krämer. C’était un tort : Siegfried réserve d’heureuses surprises. Au premier acte, en tout cas, dont il préserve l’ironie, avec un Mime fofolle déjantée, en perruque blonde, cultivant quoi se shooter – les sentiments de ce père adoptif célibataire, après tout, peuvent être ambigus. Le Wälsung devient un adolescent poupon tête à claques, resté au stade infantile de la sexualité, regardant le dragon du film de Fritz Lang à la télé d’un appartement petit-bourgeois où le nain fait la popote. Wotan joue un moment les Wanderer clochardisés, mais n’a visiblement pas renoncé à son pouvoir – autre bonne idée. On apprécie surtout une direction d’acteurs affûtée, sans rapport avec celle des journées précédentes : ça bouge, ça vit. On passe même sur la chorégraphie d’automates dans la scène de la forge, aussi inutile que ridicule – ridicule également la salopette pour un Siegfried au physique de Torsten Kerl. Le deuxième acte convainc moins, malgré une jolie forêt : Fafner roi de la drogue régnant sur une armée d’esclaves nus, concurrencé par un Wanderer et un Alberich mafieux, cela sent une modernité assez convenue. L’oiseau gamine facétieuse faisant joujou avec son miroir, de son côté, agace vite. Et le combat contre le géant tombe à plat. Le metteur en scène n’arrive pas ici à réussir l’articulation entre le conte de fées et le thriller. On reste enfin partagé devant le troisième acte où, pour le coup, la direction d’acteur faiblit, en particulier dans le duo final, qui tourne à vide. Le retour au grand escalier de L’Or du Rhin, en revanche, a sa logique : c’est bien, pour Wotan, le début de la fin, les lettres de « Germania » peuvent flamber. Là commence en effet le crépuscule des dieux, annoncé par Brünnhilde éveillée à l’amour. Entouré de Walkyries travestis, le maître déchu du Walhalla a des airs de Louis II. Mais la bibliothèque ténébreuse où les femmes consultent les livres de la destinée pendant le dialogue entre Erda et Wotan pèse inutilement lourd, sans parler du jeu imposé aux deux chanteurs. Bref : malgré des idées, le spectacle reste inabouti, faute d’une homogénéité des registres. Cela dit, encore une fois, on oublie souvent le ratage des deux premiers volets. Et la production pose à nouveau la question de la mise en scène du Ring aujourd’hui : elle n’est pourtant pas insoluble, comme l’a montré la Fura dels Baus à Valence.


Aujourd’hui encore, l’orchestre réserve de grands plaisirs. Par la qualité des pupitres – superbe cor solo de Vladimir Dubois –, par la fluidité quasi boulézienne de la direction très maîtrisée de Philippe Jordan, qui aère le troisième acte, où l’orchestre pourtant s’épaissit parfois. La forge et l’acier, jubilent à la fin du premier, là où beaucoup plombent la musique. La forêt bruisse de murmures chambristes. On se gardera donc bien d’accuser un tel orchestre de l’insuffisance des voix. Cela n’en manque pas moins un peu de poésie et de mystère, le chef ayant aussi du mal à tendre l’arc d’une partition dont il fait vraiment du théâtre à partir du troisième acte, où il se laisse enfin porter. On l’avait déjà regretté dans La Walkyrie. On craint donc malgré tout pour Le Crépuscule des dieux : le premier acte dure deux heures…



Didier van Moere

 

 

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