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Double programme Paris Salle Pleyel 01/12/2011 - et 13 janvier 2011 Piotr Ilyitch Tchaïkovski: Concerto pour piano n° 2, opus 44
Benjamin Britten: Concerto pour violon, opus 15
Hector Berlioz: Harold en Italie, opus 16
Maurice Ravel: Daphnis et Chloé (Suite n° 2)
Denis Matsuev (piano), Janine Jansen (violon), Antoine Tamestit (alto)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)
D. Matsuev
Avant de partir en Espagne pour sa première tournée avec son nouveau directeur musical, Paavo Järvi, l’Orchestre de Paris se produit comme de coutume deux jours consécutifs salle Pleyel, mais la première partie du programme diffère d’un concert à l’autre.
Le mercredi soir s’ouvre sur le Deuxième Concerto (1880/1887) de Tchaïkovski, œuvre rare, d’ailleurs donnée ici pour la première fois à l’Orchestre de Paris: il est vrai que la célébrité du Premier Concerto, interprété la semaine précédente par Arcadi Volodos, a non seulement éclipsé le Deuxième mais aussi le Troisième. Très développé (plus de trois quarts d’heure), bien que révisé et raccourci par Tchaïkovski lui-même, le Deuxième demeure déséquilibré – le Finale est significativement plus bref que les deux premiers mouvements – et d’intérêt inégal, entre clinquant et grands élans, tendresse et auto-parodie.
Devant un orchestre plongé dans la pénombre, sans doute pour les besoins d’une captation par les caméras d’Arte Live Web, Denis Matsuev ne plaide guère en faveur de cette partition qui ne renouvelle pas la réussite du Premier, bien que destinée elle aussi à Nikolaï Rubinstein qui, après l’avoir âprement critiqué, avait grandement contribué à le populariser. Le pianiste russe enchaîne certes les traits avec brio et dévore l’ivoire avec un appétit féroce, à la grande joie du public, mais il confond trop souvent solidité et tapage, tandis que la raideur de son phrasé ne rend pas justice aux passages poétiques et lyriques.
L’enthousiasme de l’orchestre, ainsi que la qualité des soli de Roland Daugareil et Eric Picard dans l’Andante non troppo central, en forme de triple concerto, n’y peuvent mais. Les bis confirment hélas cette impression défavorable, que ce soit le Troisième (en sol bémol) des quatre Impromptus de l’Opus 90 de Schubert, précipité et manquant de naturel, ou bien «Dans le château du roi des montagnes» extrait de Peer Gynt (1876) de Grieg, dans un arrangement par Grigory Ginsburg (1904-1961), démonstration de virtuosité aussi creuse que gratuite.
Simon Corley
J. Jansen (© Felix Broede)
Le lendemain, le concert s’ouvre avec le Concerto pour violon de Britten, d’une autre portée que l’Opus 44 de Tchaïkovski. Echo des douleurs suscitées par la guerre d’Espagne et des angoisses provoquées par l’imminence du conflit mondial chez un pacifiste convaincu, cette œuvre fut achevée au Canada en 1939 puis créée en 1940 à New York par John Barbirolli et Antonio Brosa. Elle témoigne de l’attachement du musicien anglais aux genres et aux formes traditionnels, que confirmeront ses opéras – il reviendra dans Peter Grimes à la passacaille, qui constitue le finale du Concerto. Un attachement dans la liberté, comme son rapport à la tonalité. Il n’est d’ailleurs pas indifférent que cet opus 15 soit écrit en ré majeur : la partie de timbales, au début, rappelle les premières mesures du Concerto de Beethoven, le Scherzo celui du Premier de Prokofiev. Janine Jansen et Paavo Järvi ont enregistré ensemble pour Decca ce Concerto de Britten – associé justement à celui de Beethoven. La violoniste néerlandaise concilie la rigueur et le lyrisme, la rondeur chaude d’une sonorité timbrée jusque dans l’aigu et une virtuosité sans faille. Le chef est plus froid, même s’il obtient de son orchestre une lecture impeccable, très analytiquement polyphonique – un peu sa marque de fabrique – et, surtout, assure une parfaite intégration du soliste, pierre d’achoppement d’une œuvre qui, de ce point de vue, n’est pas sans évoquer le Premier Concerto de Szymanowski.
On ne niera pas l’engagement du chef estonien pour la cause de la musique française, à laquelle son répertoire et ses programmes réservent une place de choix. Reste à savoir s’il entretient avec elle de profondes affinités : son disque Bizet laissait un peu sceptique, sa Péri, par laquelle il inaugurait sa première saison, n’avait guère convaincu. Harold en Italie et la Seconde Suite de Daphnis et Chloé, donnés les deux soirs, confirment l’impression de sécheresse que l’on avait ressentie : il manque un abandon, une chaleur, une sensualité à cette direction que, pour un peu, l’on aimerait presque moins sûre, moins précise, moins chirurgicale. Cela viendra-t-il avec le temps ? On l’espère, car le travail accompli est remarquable : l’Orchestre de Paris, visiblement conquis, retrouve une homogénéité, notamment du côté des cordes, une caractérisation des timbres, un éventail dynamique, une splendeur sonore qu’il avait un peu perdus. Et ce Harold, fluide, dépoussiéré, n’a, objectivement, rien pour déplaire – le chef estonien applique au fond à Berlioz le même traitement qu’à Beethoven. Il reste que le lyrisme romantique du héros byronien, sa mélancolie fiévreuse ou nostalgique, restent pris en charge par le seul alto d’un Antoine Tamestit superbe de sonorité et de phrasé – les problèmes d’équilibre entre le soliste et l’orchestre ne pouvant jamais être complètement résolus au concert. A l’inverse de Janine Jansen, il offre un bis, magnifique : une transcription du Prélude de la Première Suite pour violoncelle de Bach.
La Seconde Suite de Daphnis est de la même eau : orchestralement superbe, exactement nuancée dans le «Lever du jour», exactement rythmée dans une «Bacchanale» fulgurante mais très – trop ? – tenue, avec des flûtes magnifiques dans la «Pantomime». De quoi combler ceux qui se refusent à voir en Ravel un hédoniste héritier de l’impressionnisme de Debussy – pas les autres.
Le site de Denis Matsuev
Le site de Janine Jansen
Le site d’Antoine Tamestit
Didier van Moere
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