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Une légende en voie d’extinction? Paris Théâtre des Champs-Elysées 01/14/2011 - Robert Schumann : Concerto pour piano et orchestre en la mineur, opus 54
Johannes Brahms : Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 73
Nelson Freire (piano)
Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg, Youri Temirkanov (direction)
Y. Temirkanov
Les dernières venues de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg au Théâtre des Champs-Elysées (la célèbre phalange russe faisant désormais partie des «orchestres en résidence» avenue Montaigne) avaient été saluées par la critique et par le public parisien (en dépit d’un Temirkanov parfois hors sujet) tant les prestations s’étaient avérées du plus haut niveau, que ce soit dans Tchaïkovski, Stravinsky ou Prokofiev. Il est vrai que l’orchestre véhicule avec lui une véritable légende depuis qu’il a été créé en 1882 (comme le Philharmonique de Berlin), ayant notamment conquis le monde entier sous la direction d’Evgueny Mravinsky (1903-1988) qui en a tenu les rênes pendant cinquante ans! Aussi ne peut-on que se poser des questions inquiétantes à l’écoute du concert de ce soir: où est la musique? Où est la tenue de cet orchestre jadis exemplaire?
A dire vrai, le problème se pose avec moins d’acuité lors de la première partie du concert qui permet surtout d’entendre Nelson Freire dans le célèbre Concerto pour piano de Robert Schumann (1810-1856). Le pianiste brésilien gagne, comme à son habitude, son tabouret d’un pas alerte et modeste à la fois avant que les premières notes ne retentissent. L’Allegro affetuoso allie immédiatement un magnifique piano (en dépit de quelques fausses notes) à un orchestre effacé, qui manque d’engagement en dépit d’une belle sonorité, notamment dans les tutti de cordes (et d’un très beau hautbois). La cadence est jouée sans affectation par Freire, qui sait aller à l’essentiel tout en interprétant la partition avec tact et finesse. Cette belle impression se confirme dans le deuxième mouvement: Nelson Freire joue de façon totalement aérienne sa partie, plongeant le théâtre dans une atmosphère doucement rêveuse, aux accents nostalgiques et naïfs à la fois. Malheureusement, le dernier mouvement, du seul fait qu’il donne davantage d’importance à l’orchestre, fait retomber l’enthousiasme. Temirkanov ne fait pas assez respirer la partition, les enchaînements entre l’orchestre (qui manque de nouveau singulièrement d’ampleur) et le soliste sont trop brusques, trop empressés: le dialogue n’existe à aucun moment. Les acclamations du public à l’attention de Nelson Freire, toujours irréprochable même si on l’a connu plus convaincant dans cette œuvre, ont ensuite permis d’entendre le premier des trois Intermezzi de l’Opus 117 de Johannes Brahms (1833-1897): moment de grâce absolu qui, à lui seul, pouvait justifier que l’on vienne à ce concert.
Ce bis offrait une transition toute trouvée avec la seconde partie qui était intégralement consacrée à la Deuxième Symphonie du compositeur allemand. On sait que cette symphonie a parfois, improprement d’ailleurs, été surnommée «symphonie des valses» en raison de son caractère dansant et chatoyant. Force est de constater que ce climat aura été totalement absent et que, de manière générale, l’interprétation aura été en dessous de tout. La direction de Youri Temirkanov, qui se contente généralement d’une simple battue de la mesure, est prosaïque au possible et, dès le premier mouvement, n’a pour effet que de rompre les lignes mélodiques, enlevant ainsi toute structure à l’œuvre. Quant aux instrumentistes, ils révèlent plus que jamais un orchestre de seconde zone: des problèmes continus de justesse de la part des bois (quelle laideur chez les clarinettes!) et des cuivres, la sécheresse des traits du début à la fin (comment ne pas déplorer le manque de respiration lors de la deuxième exposition du thème confiée aux violoncelles?), les fausses notes de la trompette solo à la fin du mouvement... Autant d’éléments qui gâchent une entrée en matière qu’on aurait espérée plus séduisante. La suite sera pourtant du même niveau. L’Andante moderato souffre lui aussi d’un manque de netteté de la part des cordes (qui, au surplus, sonnent de manière aigrelette), Temirkanov conduisant l’ensemble dans un profond ennui: on a hâte que cela se termine! La médiocrité sera effectivement bien présente jusqu’au bout avec des bois (hormis le hautbois et, dans une moindre mesure, les bassons) sans attrait, des cuivres bien imparfaits et sans volume, des cordes parvenant tout juste à lire la partition...
En bis, le chef et l’orchestre livrent une sirupeuse version orchestrale du Salut d’Amour (1888) d’Edward Elgar (1857-1934), qui séduit sans convaincre pour autant. Encore une fois, où est l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg? Sûrement pas au Théâtre des Champs-Elysées en tout cas, qui aura vécu là une soirée véritablement consternante.
Le site de l’Orchestre philharmonique de Saint-Pétersbourg
Le site de Youri Temirkanov
Sébastien Gauthier
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