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En dehors des sentiers battus

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
01/11/2011 -  et 12 janvier 2011 (Köln)
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Concerto pour violon et orchestre, opus 35
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 4, opus 43

Sergej Krylov (violon)
Sächsische Staatskapelle Dresden, Vladimir Jurowski (direction)


V. Jurowski (© Roman Gontcharov)


On ressort à la fois déconcerté et hypnotisé du concert, pour le moins insolite, donné par Vladimir Jurowski et l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde au Théâtre des Champs-Elysées. Un concert hors norme, diablement engagé et donc terriblement contestable, moment – rare – de remise en question des habitudes d’interprétation de deux partitions qui, pour des raisons fort différentes, constituent deux monuments de l’histoire de la musique russe – de la musique tout court. Le programme ne cherche d’ailleurs pas d’artifice pour établir le parallèle entre deux œuvres qui semblent séparées, comme l’écrit Mathieu Ferey, «par bien plus que le temps. Les contextes de leur naissance divergent profondément, scindés par la radicalité de la révolution soviétique. Et leurs univers esthétiques paraissent lointains (…). Mais paradoxalement, une même volonté traverse les deux œuvres, un désir de vérité, de se poser, ou de s’opposer, face à la société qui les entoure».


Inscrire le Concerto pour violon de Tchaïkovski et la Quatrième symphonie de Chostakovitch au programme de tournée d’un orchestre d’exception, c’est donc susciter de fortes attentes. Comme en novembre 2009 (lire ici), les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées entendent le soliste Sergej Krylov (né en 1970) – violoniste et par ailleurs directeur artistique de l’Orchestre de Chambre de Lituanie – interpréter le Concerto en ré majeur (1878) de Tchaïkovski. En 2009, Krylov assurait une prestation que ConcertoNet jugeait «certes conforme à la réputation du lieu mais anonyme et sans enjeu»; rien de tel en ce début d’année 2011, où le violoniste russe – mi-clown, mi-rock star – troque la figure du prince romantique de l’archet pour celle – moins séduisante – du «violon-moujik». Tout en tonicité et en espièglerie, son Tchaïkovski n’émeut nullement, même s’il attendrit parfois, et se situe à mille lieues de la présentation attendue qu’en font les notes du concert («post-romantisme qui flatte une expression quasi directe du sentiment, à fleur de peau, dans une profusion mélodique tour à tour énergique et sensuelle»). D’une technique impressionnante et d’une régularité métronomique – sans frisson ni sentimentalisme –, Sergej Krylov dégraisse le «mammouth opus 35» pour en faire un numéro de funambule fantasque et facétieux, qui regarde vers Paganini tout autant que vers le Tzigane de Ravel. Il lance comme un rafraîchissant «pied de nez» à une œuvre si fréquentée qu’on est surpris d’en découvrir un autre visage. Provocateur et déroutant. L’orchestre adhère totalement à la démarche, offrant au soliste un cadre sonore subtil et attentif, d’une impressionnante fiabilité et d’un réel confort esthétique, la flûtiste solo de la Staatskapelle méritant, dans la Canzonetta. Andante, d’être mentionnée au tableau d’honneur des pupitres saxons – tous admirables dans Tchaïkovski comme dans Chostakovitch.


Retenant une partition qu’on programme en définitive rarement, Vladimir Jurowski (né en 1972) se paie le luxe d’en offrir une interprétation originale, aussi déconcertante pour certains (un strapontin qu’on fait sauter, une porte qu’on claque, un «bouh» qu’on croit utile de beugler aux saluts… sont des signes qui ne trompent pas) que captivante pour d’autres. C’est en quelque sorte à une lecture «de chambre» de la Quatrième symphonie (1936) de Chostakovitch que nous convie le principal conductor du Philharmonique de Londres qui, décidemment, ne fait rien comme les autres (lire, par exemple, ici, ici, ici, ici ou ici). Démontrant une nouvelle fois ses talents d’architecte, le chef sait ce qu’il veut et où il va dans cette partition exigeante et complexe à laquelle il donne une unité limpide. Limpide parce que construite sur une sonorité toujours claire (on jurerait parfois entendre du Strauss plutôt que du Chostakovitch!) et jamais agressive – presque sereine. Etonnant voyage chambriste dans l’univers mental d’un Chostakovitch lointain et intimiste à la fois. Doit-on regretter le manque de rugosité, d’âpreté, l’émotion toujours contenue d’une exécution avare en explosions cataclysmiques et hurlements de cuivres ou de vents? L’inquiétante tranquillité de l’interprétation, reposant sur des timbres moelleux, n’en est-elle pas plus terrifiante encore? Toujours est-il que la volonté du chef de respecter la lettre sinon l’esprit de la Symphonie en ut mineur ne fait pas l’ombre d’un doute, Vladimir Jurowski brandissant – en vrai chef russe – la partition de Chostakovitch devant un public l’applaudissant avec chaleur. Rehaussée par le plaisir d’entendre une sonorité non standardisée (les cordes de la Staatskapelle de Dresde restent décidemment incomparables, emmenées par un premier violon solo qui fait plus que justifier son rang), l’excellence orchestrale réunit, elle, tous les suffrages.


Le site de la Staatskapelle de Dresde
Le site de Sergej Krylov



Gilles d’Heyres

 

 

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