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Qui a peur du grand méchant baryton ?

Baden-Baden
Festspielhaus
11/12/2010 -  
Giuseppe Verdi : La forza del destino, Ouverture – Credo (Otello)
Gaetano Donizetti : Udite, udite, o rustici (L’elisir d’amore)
Arrigo Boito : Sono lo spirito che nega (Mefistofele)
Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, Ouverture
Charles Gounod : Ronde du veau d’or – Chœur des soldats (Faust)
Carl Maria von Weber : Schweig, Schweig (Der Freischütz)
Giacomo Puccini : Te Deum (Tosca)
Camille Saint-Saëns : Danse Macabre
Stephen Sondheim : Ballade (Sweeney Todd)
Kurt Weill : Die Moritat von Mackie Messer (Dreigroschenoper)
Arthur Sullivan : When the night wind howls (Ruddigore)
Jacques Offenbach : Orphée aux enfers, Ouverture
George Gershwin : It ain’t necessarily so (Porgy and Bess)
Claude-Michel Schönberg : Stars (Les Misérables)

Bryn Terfel (baryton)
Münchner Rundfunkorchester, Chœurs de la Hochschule für Musik de Karlsruhe, Gareth Jones (direction)


B. Terfel (© Sheila Rock)


L’Orchestre de la Radio de Munich occupe une place imprécise dans la vie musicale de la capitale bavaroise, dont il constitue en principe le maillon faible. Cette phalange à tout faire s’est spécialisée dans un répertoire classique léger mais peut tout aborder en pratique, depuis le grand répertoire symphonique jusqu’à l’opéra. Dans une ville où se produisent régulièrement trois formations exceptionnelles (le Bayerisches Staatsorchester de Kent Nagano, les Münchner Philharmoniker de Christian Thielemann et l’Orchestre Symphonique de la Bayerischer Rundfunk de Mariss Jansons) il est de bon ton de froncer le nez devant ces musiciens aux ambition plus limitées. Et pourtant, à les entendre, on ne les trouve en rien falots. L’Ouverture de La forza del destino a même fière allure, scandée par une rangée de cuivres d’une énergie redoutable. Dans ce programme composite la partie orchestrale française brille par une Danse macabre rondement menée, quelques problèmes stylistiques apparaissant cependant dans une Ouverture d’Orphée aux Enfers aux accents trop pesants. Plus décevante l’Ouverture de Don Giovanni de Mozart paraît dévidée sans passion, comme s’il s’agissait vraiment d’un simple intermède.


Ce n’est évidemment pas pour tout cela que le Festspielhaus s’est rempli jusqu’au dernier balcon mais bien pour Bryn Terfel, qui réussit une entrée d’emblée insolite, drapé dans une grande cape noire et muni d’une canette au logo immédiatement identifiable, celui d’une marque de bière très populaire dans la région. Parmi tous les bad boys que Terfel va incarner au cours de ce récital, le Docteur Dulcamara, certes roublard mais pas franchement méchant n’est de loin pas le pire. Ce personnage de bonimenteur convient bien au baryton-basse gallois, qui en dépit d’une certaine vaillance conserve un timbre relativement clair. L’agilité requise est bien présente, la faconde nécessaire aussi. Cela dit la voix manque de rondeur et on a connu des Dulcamara plus agréables à écouter. Chute de l’air ravageuse : Terfel fait sauter l’opercule de sa canette, la vide cul sec et ponctue l’exploit d’un grognement gargantuesque qui fait crouler la salle.


Dès ce moment le public est conquis. Ce d’autant plus que Bryn Terfel, non content de chanter, commente aussi les airs à venir, voire glisse ici ou là une petite anecdote personnelle dans un anglais à l’accent particulier mais intelligible, donnant à chacun l’impression d’être invité par la star en privé. Il y aurait beaucoup à dire cependant, voire à redire, sur toutes ces silhouettes sulfureuses qui vont passer successivement dans notre chant de vision, motivant à chaque fois un petit changement d’attitude ou d’accessoire vestimentaire mais toutes incarnées par la même voix d’une noirceur insuffisante, dont le manque de poids ne se laisse pas si simplement compenser par les rugissements carnassiers que l’interprète s’amuse à glisser un peu partout. Kaspar du Freischütz de Weber paraît relativement inoffensif, d’une rage davantage forcée que réellement impressionnante et la Ronde du Veau d’or du Faust de Gounod, dans un français honorable mais pas toujours clair, gagnerait à être moins systématiquement aboyée. L’air fameux du Mefistofele de Boito serait lui aussi mieux servi par un timbre plus sombre, même si Terfel réussit à l’épicer de sifflements stridents d’une puissance formidable. On est davantage séduit par Iago d’Otello, dont le Credo est détaillé avec une vilenie effrayante, véritable distillat de méchanceté que Terfel a le bon goût de ne pas conclure sur l’éclat de rire démoniaque auquel pourtant on s’attendait. Très bonne fin de première partie aussi, avec une parfaite Scène du Te Deum de Tosca, captivante comme si nous nous trouvions vraiment dans un fauteuil d’opéra.


Ce récital surligné à l’encre de chine dévie ensuite vers des répertoires plus légers abordés avec énormément de classe, où l’on distingue surtout une poétique Ballade de Mackie Messer de Kurt Weill. Terfel nous y rappelle qu’il fut aussi un merveilleux interprète des Lieder de Schubert: un Weill peu canaille mais d’une classe hors du commun. Belle découverte aussi avec l’air de Sir Roderic extrait du Ruddigore de Gilbert et Sullivan, moment de fantasmagorie musicale troussé avec juste ce qu’il faut de second degré britannique.


En bis l’air de Javert des Misérables pose problème. D’abord parce que son orchestration paraît trop lourde et qu’il faudrait même à un baryton d’opéra le secours d’une amplification pour réussir à y surnager. En mobilisant la puissance d’un Wotan le pari est tenu, mais l’épreuve paraît plus fatigante pour Terfel que tout le reste du programme réuni. Et puis même un chanteur de cette classe ne peut camoufler la médiocrité d’écriture d’un air certes accrocheur mais dont les modulations bricolées dans le plus pur style commercial des années soixante dix du siècle dernier sont d’une détestable vulgarité. Et ce n’est pas un problème lié au genre : Broadway nous a habitués de longue date à de bien meilleurs musiciens.



Laurent Barthel

 

 

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