About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Le Chevalier à la rose et l’esprit viennois

Madrid
Teatro Real
12/14/2010 -  & 3, 6, 9, 11, 17, 19, 22 décembre 2010
Richard Strauss: Der Rosenkavalier
Anne Schwanewilms (La Maréchale), Joyce DiDonato (Octavian), Ofelia Sale (Sophie), Franz Hawlata (Ochs), Faurent Naouri (Faninal), Ingrid Kaiserfeld (Marianne), Peter Bronder (Valzacchi), Helene Scheiderman (Annina)
Pequeños Cantores, Orchestre et Chœur du Teatro Real, Jeffrey Tate et Jonas Alber (direction musicale), Andrès Maspero (chef du chœur)
Herbert Wernicke (mise en scène, décors et costumes), Alejandro Stadler (réalisation de la mise en scène)


A. Schwanewilms (© Javier del Real)


Finalement, après treize ans avec de nombreux opéras de Strauss: Der Rosenkavalier, deux Elektra, ainsi que Salomé, Ariane à Naxos, La Femme sans ombre, et même une rareté, en version de concert, Hélène d'Egypte, on se réjouit du retour du Rosenkavalier au Teatro Real.


Viennois. Certainement. Mais viennois ne veut pas seulement dire l’élégance, la valse (inconnue à l’époque de Marie Thérèse), la légèreté. Viennois veut dire, surtout, ce qu’il y a derrière tout cela, l’humour ou le drame, la danse ou la douleur, le plaisir et la malaise… Ainsi, Freud, certainement, mais aussi Hofmannsthal, l’auteur d’Elektra, l’auteur du Rosenkavalier… en encore de quatre autres livrets d’opéra pour Richard Strauss. Ainsi, Karl Kraus, Schnitzler… et Wittgenstein. On pourrait dire: "viennois" c’est ce qui consiste à cacher ce qu’il y a derrière; en même temps, "viennois" c’est dénoncer ce qu’on y cache. "Viennois" c'est l’antisémitisme des socio-chrétiens de Karl Lueger, le beau Karl, mais aussi la victoire du chromatisme total et poussé, inventé par un Juif, Arnold Schoenberg. Viennoise est la furie pangermaniste de Schönerer, mais aussi l’invention du Sionisme par un Viennois de Budapest. Viennoise est la vision maladive d’Elektra par Hofmannsthal, d’après Sophocle; mais aussi la comédie du Rosenkavalier. Ce n’est pas une trahison, comme on disait autrefois: après Salomé et Elektra. Vous faites cela? Ah, non, quelle trahison! Vous faites l’aimable après avoir signalé la maladie et l’infirmité. Mais voyons, ce sont les deux faces du même dieu disparu. Les dieux, ai-je entendu, disparaissent en souffrance quand ils n’ont plus de culte. Ainsi, l’esprit tourmenté de Vienne, très belle ville, un gros gâteau sur le Ring, le souvenir épouvantable de la Heldenplatz, la gloire des méprisés d’un jour qui deviennent la gloire de la ville touristique d’aujourd’hui. "Viennois", aujourd’hui, a un autre sens.


Il nous reste le souvenir. Idéalisé, quand on ne veut pas voir les démons de la ville. Ou dénigré, comme en lisant une pièce ou une nouvelle de Thomas Bernhard. Célébrations, dénigrement: c’était Michel Tournier qui séparait le narratif et le poétique en général dans ces deux catégories. Alors, ne prenez pas une Vienne en oubliant l’autre.


Malheureusement, ce rédacteur n'a pu assister au premier acte de cette mise en scène belle et approfondie signée Wernicke. Mais on la connaissait depuis longtemps (c’est une production salzbourgeoise, vue aussi à l’Opéra de Paris) et il nous restait, au moins, l’offrande de la rose, les intrigues contre le jeune couple, et celles du jeune Chevalier contre la grossièreté sympathique d’Ochs. Et, surtout, on a entendu ce moment toujours sublime, le trio de la fin, et le duo « C’est un rêve ». Oui, c’est vrai, on a perdu les moments les plus brillants de la Maréchale. En l’entendant à la fin, avant et pendant le trio, on peut se rendre compte de la hauteur artistique d’Anne Schwanewilms. Une voix élégante, jamais altière, une ligne de chant d’un lyrisme qui a dépassé l’enviable naïveté de Sophie et d'Octavian depuis longtemps; c’est évident, oui, par le texte et par l’esprit du personnage, de l’histoire, mais ici, surtout, par la rare disposition de Schwanewilms à s’introduire dans une très difficile tradition, celle qui mène vers le passé, vers l’art de Schwarzkopf (elle, hélas, était assez altière et correspondait peu au personnage) et, surtout, de Lisa Della Casa.


Formidable Joyce DiDonato avec son chant, son sens de la comédie, sa manière d’enrichir ce Cherubino qui est le comte Rofrano. Parfois, malgré sa beauté tout à fait féminine, on croit entendre et voir un garçon plein d’élan, d’enthousiasme, d’érotisme… Mais c’est une femme, à la voix aiguë et grave, riche en tessiture, riche en nuances. À coté d’elle, la naïveté feinte ou peut-être mi-vraie de Sophie, interprétée par Ofelia Sala dans un moment magique d'une carrière encore très brève, une belcantiste (Susanna, Norina, Gilda, Pamina) qui nage très bien dans les eaux straussiennes et son recitativo cantabile permanent. Franz Hawlata, en baron d'Ochs très bon comédien, souffre dans les passages difficiles, surtout dans le grave. Le reste de la distribution est d’un bon niveau général.


Alejandro Stadler a reconstruit la mise en scène déjà classique du feu Herbert Wernicke, auteur de moments légendaires du théâtre d’opéra, qui ne se borne pas aux grands titres de l’histoire lyrique (Boris, Pelléas, Fidelio, Don Carlos, Les Troyens, Salomé, Alcina, Jules César…). Une vision où le temps se trompe et nous trompe. Ou, plutôt, nous suggère que le temps n’est qu’un piège, un trompe-l’œil. La valse anachronique: voilà, peut-être, la source d’inspiration de cette mise en scène où les perruques du XVIIIe sont l’exception, et les costumes de tout un siècle sont la norme, y compris les costumes d’un music hall imaginaire, d’un groupe vocal folk, d’une fête de fin d'année, voire d’un bal masqué. Très beau, très riche de sens… in memoriam, Wernicke.


Devant l’orchestre, un maestro efficace, coloriste, capable de toutes les nuances, Jeffrey Tate, qui a été la base solide et inspirée d’un discours musical riche (la richesse de l’orchestre straussien, de l’évidence des cors aux insinuations des violoncelles). Tate et l’Orchestre du Teatro Real (Symphonique de Madrid), Tate et le trio féminin de protagonistes ont conquis les Madrilènes musicaux; à ce jour, ce Chevalier est le plus grand succès de la nouvelle « époque Mortier ». Un spectacle qui s'est joué à guichet fermé. Les attentes et les commentaires depuis la première du 3 décembre ont fait des ravages… dans le meilleur sens du mot.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com