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Résurrection d’un chef-d’œuvre

Versailles
Opéra royal
12/17/2010 -  et 24 juillet (Beaune) 16 décembre (Paris) 2010, 25 janvier 2011 (Wien)
Jean-Baptiste Lully : Bellérophon

Cyril Auvity (Bellérophon), Céline Scheen (Philonoé), Ingrid Perruche (Sténobée), Jennifer Borghi (Argie, Pallas), Evgueniy Alexiev (Pan, le roi Jobate), Jean Teitgen (Apollon, Amisodar), Robert Getchell (Bacchus, la Pythie)
Chœur de chambre de Namur, Thibaut Lenaerts (chef de chœur), Les Talens lyriques, Christophe Rousset (direction)


C. Rousset (© Eric Larrayadieu)


Coup de tonnerre et coup d’éclat au Festival de musique ancienne de Beaune en juillet 2010: Christophe Rousset dirigeait, le samedi 24 juillet (soit la première fois depuis 1773!), Bellérophon (1679) de Jean-Baptiste Lully (1632-1687). On peut s’étonner de cette longue éclipse mais, en vérité, cette tragédie lyrique en un prologue et cinq actes est à bien des égards un exemple typique des effets de la disgrâce.


Disgrâce en ce qui concerne le livret tout d’abord. Après que le Roi (et, surtout, sa favorite du moment) ont pris ombrage d’Isis (1677) dont l’action raconte comment la nymphe Io est tombée sous le charme de Jupiter et se trouve, de ce fait, haïe par Junon (certains, à commencer par les principaux intéressés, y voyaient une allusion transparente à la jalousie farouche que Madame de Montespan manifestait depuis la fin de l’année 1676 à l’égard de la jeune Marie-Elisabeth de Ludres, dont Louis XIV s’était épris), le librettiste attitré de Lully, Philippe Quinault, fut contraint de se faire oublier quelque temps. Le livret de Bellérophon fut donc pris en charge par Thomas Corneille et Fontenelle, Boileau ayant semble-t-il lui-même mis la main à l’ouvrage. Porté par un contexte historique il est vrai des plus favorables (la France vient de signer le traité de Nimègue en août 1678 après avoir remporté de nombreuses victoires contre les Provinces-Unies, mettant ainsi temporairement fin à une guerre débutée en 1672, qui lui a ainsi permis de gagner de nombreux territoires dont la Franche-Comté), le livret se veut clairement un hommage à la gloire du Roi. Dès le Prologue, on loue ainsi «Le plus grand roy de l’univers [qui] Vient d’assurer le repos de la terre», conduisant ensuite l’ensemble des protagonistes à s’écrier: «Chantons le plus grand des mortels, Chantons un Roy digne de nos autels»! La suite de l’ouvrage est également un panégyrique des mérites de Louis XIV, qu’il s’agisse de sa mansuétude à l’égard des peuples vaincus («Qu’aucun ne garde icy des sujets de tristesse: A vos captifs, je rends la liberté (…) Quand un vainqueur est tout brillant de gloire, Qu’il est doux de porter ses fers») ou de sa gloire strictement militaire («Le plus grand des héros rend le calme à la terre, Il fait cesser les horreurs de la guerre»).


Disgrâce du librettiste avons-nous dit: disgrâce également en ce qui concerne l’ouvrage lui-même. En dépit d’un livret fort bien construit, doté d’une intensité dramatique rare, et d’un accueil des plus favorables, à commencer par celui du Dauphin, particulièrement enthousiaste (dans sa monumentale biographie de Lully, Jérôme de La Gorce rapporte ainsi, Le Mercure galant à l’appui, que le Dauphin «en trouva "des endroits si beaux" qu’il les fit "répéter deux fois dans chaque représentation"), l’œuvre tomba en effet quelque peu dans l’oubli même si elle fut notamment représentée à l’Opéra royal de Versailles en novembre 1773 pour marquer les festivités du mariage du comte d’Artois (futur Charles X), voisinant à cette occasion aussi bien avec Sabinus de Gossec que Céphale et Procris de Grétry. Et, depuis, Bellérophon ne fut jamais donné, encore moins enregistré.


C’est donc à une authentique résurrection que Christophe Rousset et les siens se sont livrés en ressortant des limbes cette histoire dont on ne connaît que l’épisode fameux où Bellérophon parvient à dompter Pégase, le cheval ailé, puis à le monter afin de tuer la Chimère, monstre protéiforme, en enfonçant un morceau de plomb dans sa gueule ardente: mais cet épisode ne survient qu’à la fin du quatrième acte! En effet, le livret sur lequel Jean-Baptiste Lully compose sa musique narre également, en premier lieu pourrait-on dire, l’alliance que Sténobée, veuve du roi d’Argos, va nouer avec le magicien Amisodar pour créer un monstre (la Chimère) capable de tuer Bellérophon, dont elle jalouse le fait qu’il aime (et qu’il soit aimé par elle en retour) la jeune et douce Philonoé, fille de Jobate, roi de Lycie. Après que le héros a tué la Chimère, la morale se trouve parfaitement sauve puisque les jeunes amants peuvent exprimer pleinement leurs amours («Jouissez des douceurs que l’hymen vous prépare») tandis que Sténobée se suicide.


L’équipe de chanteurs est globalement excellente. En dépit du titre de l’ouvrage, ce n’est point Bellérophon qu’il convient de saluer en premier lieu mais bien Amisodar, Jean Teitgen à la ville. Chantant également le rôle d’Apollon dans le Prologue, il fait montre d’une voix incroyablement puissante, qui ne force jamais pour autant, et tout aussi séduisante. L’ordre qu’il donne aux magiciens qui le suivent de créer la Chimère («Faisons sortir un monstre horrible», acte II, scène 7) est terrifiant à souhait! On soulignera également son air magnifique «Quand on obtient ce qu’on aime...» (scène 1 de l’acte IV), accompagné avec subtilité par le violoncelle d’Emmanuel Jacques, et sa parfaite incarnation d’un des dieux des bois (scène 4 du même acte).


Tout aussi excellent, Cyril Auvity incarne un magnifique et fougueux Bellérophon, capable des plus infinies douceurs comme dans son duo avec Philonoé (acte II, scène 2 : «Que tout parle, à l’envy, de notre Amour extrême») ou dans l’intégralité de la scène 6 de l’acte III, accompagné par des cordes tout en frémissements et retenues, capable également des accents les plus guerriers (la superbe scène 6 de l’acte IV, précédant son combat légendaire contre la Chimère). Les autres protagonistes masculins ne sont pas tout à fait à la hauteur de ces deux chanteurs. Ainsi, et c’est d’autant plus dommage qu’il est doté d’une très belle voix, là aussi chaude et puissante, Evgueniy Alexiev souffre de problèmes de prononciation qui rendent son discours trop fréquemment difficile à suivre, qu’il s’agisse de la scène 4 de l’acte I («Prétus croyant sa perte légitime») ou de la première scène de l’acte V («Préparez vos chants d’allégresse»). Quant à Robert Getchell, il tient ses différents rôles (Pan, un des dieux des bois, ...) avec assurance et donne même à entendre un des plus beaux passages de l’acte III lorsqu’il incarne la Pythie à la scène 5 («Gardez tous un silence extrême, Apollon vous entend»).


Même appréciation un tant soit peu contrastée concernant les chanteuses. Ingrid Perruche domine largement les trois protagonistes: elle ne chante pas le rôle de Sténobée, elle est Sténobée! Sans pitié pour envoyer à la mort celui qui ne l’aime pas («Il mérite la mort que je veux lui donner» clame-t-elle à la scène 5 de l’acte I), elle incarne un personnage véritablement terrifiant dans l’air «Que ce spectacle sera doux a la fureur qui me transporte» (acte II, scène 5). Servie par de véritables talents de tragédienne, elle nous émeut jusqu’aux larmes lorsqu’elle entame son chant d’adieu, les dernières notes mourant avec elle dans un Opéra royal absolument silencieux, retenant son souffle alors que celui de Sténobée s’échappe une dernière fois («Voy mes derniers soûpirs, impitoyable amour, j’expire», acte II, scène 5). Un cran en deçà, Céline Scheen chante le personnage de Philonoé avec conviction (notamment dans ses duos avec Cyril Auvity comme on a déjà eu l’occasion de le souligner) même si, en plus d’une occasion, on pourrait lui reprocher de minauder quelque peu (notamment à la première scène de l’acte II). Jennifer Borghi est une Argie tout à fait convaincante même si son rôle est loin d’être le plus brillant, chantant également ses seconds rôles avec un indéniable talent (la seconde amazone à la première scène de l’acte I ou la Dryade à la scène 3 de l’acte IV).


Le Chœur de chambre de Namur, magnifiquement préparé par Thibaut Lenaerts, est irréprochable de bout en bout. Qu’il s’agisse des seules voix masculines (le chant des magiciens à la scène 7 de l’acte II) ou des ensembles, les vingt chanteuses et chanteurs participent pleinement à la réussite de l’œuvre, jouant parfois à contrepied comme dans ce passage où ils s’expriment tour à tour avec douceur («Dieux, qui connoissez nos malheurs») ou avec allégresse alors que se déroule sous nos yeux une scène de sacrifice (acte III, scène 5). Il va de soi, mais est-il besoin de le signaler, que Les Talens lyriques sont également les grands triomphateurs de la soirée. Même si les trompettes, les hautbois (dont Vincent Blanchard, qui jongle sans difficulté entre hautbois et flûte à bec), les cordes ont toujours été splendides, une mention spéciale doit être adressée à Marie-Ange Petit qui, aux percussions, nous a ainsi joyeusement gratifiés du son du tambourin, du triangle, des grelots, des crotales et autres timbales. Christophe Rousset, glissant avec agilité de son siège de claveciniste à la direction de ses musiciens, est un chef d’orchestre au sens plein du terme: veillant à l’équilibre de l’ensemble, il ne force jamais le trait, se laissant porter par une action dont on ne peut qu’espérer qu’elle soit un jour mise en scène. La magie du spectacle ne pourra qu’en être décuplée.


Signalons enfin aux amateurs que la soirée, qui était retransmise en direct sur Arte Live Web (et disponible sur le site jusqu’à mi-février), sera diffusée sur Mezzo au cours de l’année 2011 en attendant un prochain enregistrement discographique.


Le site des Talens lyriques
Le site du Chœur de chambre de Namur, de l’ensemble Les Éléments et de Guy Van Waas
Le site d’Evgueniy Alexiev
Le site de Robert Getchell



Sébastien Gauthier

 

 

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