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L’iconoclaste et le néoclassique Paris Amphithéâtre Bastille 11/30/2010 - Paul Hindemith : Quatuors n° 4, opus 22, et n° 6 – Minimax
Quatuor Danel: Marc Danel, Gilles Millet (violon), Vlad Bogdanas (alto), Guy Danel (violoncelle)
Le Quatuor Danel (© Derek Trillo)
Les représentations de Mathis le peintre se poursuivent à Bastille (voir ici) tandis que l’Opéra national de Paris achève sa série de «Convergences» consacrée à Paul Hindemith. Après le piano, la voix et l’alto (voir ici), c’est le tour du quatuor: choix tout à fait justifié, puisque le compositeur a non seulement contribué au genre par de nombreuses œuvres mais en a été un interprète réputé, au sein du Quatuor Rebner en tant que deuxième violon (1915-1919) puis altiste (1919-1922), avant de fonder le Quatuor Amar, dont il fut également l’altiste (1922-1929).
C’est de cette période que date le Quatrième (1921), sans doute le plus joué des sept quatuors numérotés inscrits à son catalogue: de fait, il n’a pas à rougir de la comparaison avec les grands noms qu’évoque son audition, à commencer par Bartók, mais aussi Chostakovitch ou Honegger. La finition instrumentale n’est peut-être pas toujours soignée, mais les Danel abordent cette musique avec de grandes ambitions expressives, qui vont jusqu’à la tendresse ou à la «grâce» que Hindemith appelle de ses vœux dans le dernier mouvement, mais qui imprègne aussi un troisième mouvement aussi mystérieux qu’entêtant, bissé en fin de concert.
Avant d’être taxé d’académisme, Hindemith fut un enfant terrible et, bien loin de l’image rébarbative qui lui colle encore à la peau, avait un humour ravageur, qu’il exerça notamment dans une pièce iconoclaste pour quatuor à cordes, l’Ouverture du «Vaisseau fantôme» jouée comme le ferait un mauvais orchestre d’une station thermale à 7 heures du matin, près d’une fontaine, en déchiffrant la partition. Deux ans auparavant, Minimax (1923), écrit en seulement deux jours pour les jeunes époux «Mini» et «Max» (Fürstenberg), offre le même festival d’erreurs, exagérations, approximations, rythmes bancals, maladresses, poncifs et clichés. Les six mouvements se revendiquent comme une parodie de ce «répertoire pour orchestre militaire» que Hindemith pratiqua durant sa période de conscription (1917-1918). Mais dès la «Marche militaire 606», plus schubertienne que belliqueuse, ils évoquent davantage les kiosques à musique que l’armée. Ainsi du deuxième mouvement, détournement de l’ouverture Poète et paysan de Suppé, jusque dans son titre en forme de jeu de mots hélas difficilement traduisible («Wasserdichter und Vogelbauer») mais aussi, pour conclure, de la marche Vieux camarades, déformée en «Vieilles grillades». Se succèdent entre-temps «Une soirée à la source du Danube», où le second violon et l’alto se réfugient dans la cabine technique en haut de la salle pour imiter «deux trompettes au loin» et enfiler les citations (Beethoven, Le Carnaval de Venise, ...), «Petits pissenlits au bord du ruisseau», une «valse de concert» qui trouve évidemment son modèle à Vienne, et «Les deux joyeux bons à rien», une «pièce de caractère, solo pour deux piccolos» où les deux violons ne quittent effectivement pas de dangereux suraigus. Tout le monde s’amuse, à commencer par les musiciens, qui s’investissent sans réserve dans la farce, jusque dans leurs gestes et mimiques.
Changement radical de climat après l’entracte, avec le plus tardif Sixième Quatuor (1943), destiné au Quatuor de Budapest. Fugue initiale, fugato dans le finale: on serait tenté de dire qu’on reconnaît bien ici le goût du contrepoint qu’on associe volontiers au Hindemith de la maturité, mais ce serait oublier que le Quatrième s’ouvre également sur une fugue... L’évolution vers ce langage néoclassique si immédiatement reconnaissable, alliage de modalité et tonalité, est en revanche tout à fait caractéristique. Les Danel y mettent de nouveau un maximum de vie et d’énergie, tout en réservant la surprise d’une délicate péroraison en pizzicati, comme s’éclipsant sur la pointe des pieds.
Le site du Quatuor Danel
Simon Corley
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