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La marque de Järvi

Paris
Salle Pleyel
11/10/2010 -  
Jean Sibelius: Tapiola, opus 112
Dimitri Chostakovitch: Concerto pour violoncelle n° 1, opus 107
Serge Prokofiev: Symphonie n° 6, opus 111

Steven Isserlis (violoncelle)
Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)


S. Isserlis (© Kevin Davis)


Si Paavo Järvi n’a apparemment pas encore tout à fait trouvé ses marques dans la musique française – que ce soit avec Dukas en concert (voir ici et ici) ou bien avec Bizet au disque (voir ici) – il est en revanche dans son élément dès qu’il s’agit de musique russe ou scandinave. De fait, ce programme à la fois somptueux et sans concessions a attiré un très nombreux public salle Pleyel, où il n’était certes donné qu’à une seule reprise, et a tenu toutes ses promesses.


Aussi surprenant que cela puisse sembler, c’est la deuxième fois seulement que Tapiola (1926) apparaît à l’affiche de l’Orchestre de Paris depuis sa fondation en 1967: un peu plus de dix ans après Leif Segerstam, le nouveau directeur musical, en choisissant ce poème symphonique, peut-être la pièce maîtresse de son auteur, témoigne ainsi de son ambition de faire partager son expérience de cette musique, affichée clairement dès le concert d’ouverture en septembre dernier. Voilà qui contribuera salutairement à remettre les pendules à l’heure dans la capitale, où Sibelius n’a sans doute pas encore acquis la place qu’il mérite. La cohérence de l’ultime page orchestrale du compositeur finlandais, figurant une forêt nordique qui n’a pas grand-chose à envier à ses contemporains les plus audacieux (Janácek, Schönberg, Varèse), n’est pas aisée à trouver, ce qui explique sans doute la fascination qu’elle exerce en même temps que la difficulté d’exécution qu’elle présente. Il n’est pas certain que Järvi parvienne à restituer pleinement cette cohérence, mais chaque section n’en est pas moins réalisée avec un grand soin, spectaculaire alternance de climats déchaînés et de textures évanescentes.


Truls Mørk se remettant lentement mais – si l’on en croit l’annonce reproduite dans les notes de programme – sûrement de la maladie de Lyme qu’il a contractée en avril 2009, doit reporter à la saison prochaine son retour à l’Orchestre de Paris. C’est Steven Isserlis qui le remplace dans le Premier Concerto (1959) de Chostakovitch: dédié à Rostropovitch, celui-ci l’a dirigé en novembre 2006, quelques mois avant sa disparition, à l’Orchestre de Paris, avec Tatiana Vassilieva en soliste (voir ici). S’aidant de la partition – et avec le chef, en tant que de besoin, en tourneur de pages –, le violoncelliste britannique donne l’impression de se jeter tout entier dans la bataille, sans retenue, comme un Mischa Maisky, qu’il évoque en outre par son abondante chevelure. Mais il n’en adopte cependant pas les excès et débordements, à l’image du Moderato central, dont il ne surjoue pas le caractère mélancolique. Pour autant, son interprétation extrémiste, vraisemblablement très éloignée de celle qu’aurait offerte Truls Mørk, assume ses violents contrastes de nuances dynamiques et de couleurs, voire d’intonation. Isserlis fait d’ailleurs partie de ces quelques artistes dont les mimiques et attitudes peuvent agacer et rendent donc préférable de fermer les yeux et de profiter ainsi exclusivement du résultat sonore: sa puissance et son tempérament, comme s’il remontait avec bonheur à ses ascendances russes (un grand-père pianiste et compositeur), autorisent une telle approche, servie en outre par une virtuosité illustrée tant par l’immense cadence que par l’Allegro con moto final, mené à un train d’enfer. Et il trouve dans l’orchestre un partenaire en harmonie avec sa prestation: non seulement la qualité instrumentale est au rendez-vous, à commencer par Benoît de Barsony dans l’importante partie de cor, mais la direction ne manque ni d’engagement ni de mordant.


Après avoir veillé à saluer personnellement le premier pupitre des violoncelles, Isserlis rend hommage, après Rostropovitch, à l’autre légende du violoncelle du XXe siècle, Pablo Casals, avec sa célèbre adaptation de la mélodie folklorique catalane Le Chant des oiseaux (1941), pas si éloignée que cela, au demeurant, de la cantilène du mouvement lent du concerto. Après l’entracte, il retrouve dans les rangs du public Jean-Efflam Bavouzet et Ivry Gitlis, pour assister à un événement: la Sixième Symphonie (1947) de Prokofiev n’avait pas été programmée à l’Orchestre de Paris depuis les débuts de Myung-Whun Chung avec cette formation... voici exactement vingt-huit ans, où elle avait alors fait son entrée au répertoire de l’orchestre.


Entre les Cinquième et Septième, plus conformes aux canons officiels et toutes deux couronnées du prix Staline, la Sixième précède de peu la condamnation par le tristement célèbre Jdanov des orientations esthétiques adoptées par la plupart des grands compositeurs soviétiques. Il est vrai que ces trois amples mouvements, dédiés à Beethoven jusqu’à choisir sciemment un numéro d’opus (111) correspondant à celui de sa Trente-deuxième Sonate pour piano, avaient tout du vilain petit canard pour les censeurs staliniens, comme la Neuvième de Chostakovitch, pirouette au régime qui attendait un hymne convenu à la victoire dans la «grande guerre patriotique». Prokofiev ne paraît d’ailleurs jamais aussi proche de son cadet que dans cette symphonie, à la convergence de ses difficultés personnelles et des drames de l’histoire russe. Car si l’on reconnaît sa palette orchestrale si typique, celle de Roméo et Juliette, de Cendrillon, de Guerre et Paix ou même de la Cinquième, le mélange de joie triviale et d’ironie féroce du Vivace final rappellent le style de Chostakovitch, par exemple le mouvement homologue de sa Sixième. Et il y a comme chez lui une dimension mahlérienne assez inhabituelle chez Prokofiev, que la baguette objective de Järvi met remarquablement en valeur, sans pour autant ôter la charge expressive et élégiaque du propos. Accueil triomphal pour un chef qui rend non seulement justice à toutes les facettes de cette œuvre sans pareille mais imprime déjà fortement sa marque sur la phalange parisienne, telles ces trompettes vibrant de façon plus russe que nature.


Le site de Steven Isserlis



Simon Corley

 

 

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