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Vous avez dit «expressionnisme(s)» ?

Paris
Salle Pleyel
11/06/2010 -  et 7 (Luxembourg), 8 (Berlin), 9 (Frankfurt am Main) 2010
Bruno Mantovani : Postludium (création)
Jens Joneleit : Dithyrambes (création)
Arnold Schönberg : Cinq pièces, opus 16 – Variations, opus 31
Johannes Maria Staud : Contrebande (On Comparative Meteorology II) (création)

Ensemble Modern Orchestra, Peter Eötvös (direction)


P. Eötvös (© Klaus Rudolph)


Pierre Boulez étant contraint de demeurer à Chicago suite à une récente intervention chirurgicale, on ne pouvait trouver remplaçant plus idoine que le compositeur Peter Eötvös – l’un de ses successeurs à la tête de l’Ensemble intercontemporain, inlassable défenseur de son époque et authentique passeur – pour la tournée européenne de l’Ensemble Modern Orchestra, dont l’étape salle Pleyel prenait place dans le cadre du Festival d’automne à Paris. Devant un public beaucoup plus nombreux qu’on ne pouvait le craindre, le programme a été donné avec le concours du Kulturfonds Frankfurt RheinMain, qui coordonne durant trois ans une importante série de manifestations artistiques intitulée Phänomen Expressionnismus. D’où le choix de deux des pages orchestrales les plus emblématiques de Schönberg, les Cinq pièces opus 16 (1909) et les Variations opus 31 (1928): la veille à Baden-Baden, elles avaient été présentées et commentées par Wolfgang Rihm, mais à Paris, comme ensuite à Luxembourg, Berlin et Francfort, elles sont associées à trois créations, toutes dédiées à Boulez, ainsi présent dans la pensée des spectateurs et des compositeurs.


Tous trois ont eu la chance de se voir offrir la possibilité d’écrire pour un effectif gigantesque – celui de la version originale des Cinq Pièces de Schönberg. Et ils ont su en tirer pleinement parti, à commencer par Bruno Mantovani (né en 1974) dans un Postludium (2010) qui, malgré son titre, ouvre la soirée: «postlude», car prolongement d’Akhmatova (ce qui explique sans doute la présence d’un accordéon au sein de l’orchestre). En attendant de pouvoir découvrir cet opéra le 28 mars prochain à Bastille, ces onze minutes coruscantes signées du nouveau patron du Conservatoire semblent rester fidèles à la veine de sa partition pour le ballet Siddharta de Preljocaj créé l’an passé, également à Bastille (voir ici), avec cette alternance de cataclysmes telluriques – tutti denses et violents, quasi varésiens – et de moments contemplatifs – phrases mélismatiques des bois. Epaisse, luxuriante, les percussions et les cuivres envahissant l’espace sans jamais le noyer, la pâte sonore se fait ensuite plus légère, avec des cordes presque bucoliques, qui s’éteignent comme dans un murmure étique, énigmatique tic-tac scandé par un wood-block.


De même durée, les Dithyrambes (2009) de l’Allemand Jens Joneleit (né en 1968) trouvent leurs racines, comme le précise la notice de Rodolphe Bruneau-Boulmier, dans les musiques improvisées – tel ce long passage central, d’atmosphère fantomatique – et dans l’expression picturale – tels ces grands à-plats de couleurs à la Ligeti. Plus fragmentée que chez Mantovani, l’écriture, enrichie des éclats cristallins du piano, du célesta et des deux harpes, oppose de petits groupes instrumentaux: s’ouvrant sur des éruptions et exclamations, l’œuvre évoque une sorte de tachisme musical, les couleurs tirant sur le pastel avec de-ci de-là des apparitions figuratives ou tonales, pour se refermer sur une «vocifération implacable» rappelant Messiaen.


Faisant appel à un effectif un peu moins pléthorique, mais plus développée (un quart d’heure), plus confortable et plus ludique que les deux pièces précédentes, Contrebande (2010) de l’Autrichien Johannes Maria Staud (né en 1974), second volet du diptyque On Comparative Meteorology II (en anglais dans le texte...), trouve quant à elle son inspiration dans l’univers de l’écrivain polonais Bruno Schulz (1892-1942). Les déhanchements goguenards des premières pages, avant de revenir pour une conclusion tout aussi ironique, laissent place à des plages plus méditatives puis à de jubilatoires paroxysmes, traduisant un plaisir évident de travailler la matière instrumentale. Mais certains auront sans doute pu considérer que l’engorgement par les académismes finit par menacer ce propos lumineux et coloré, assorti de clins d’œil à l’esprit du moment, entre glissandos et sourds miroitements du piano (à quatre mains).


De plaisir il est également question dans le jeu des musiciens, qui abordent ces trois créations avec aisance et gourmandise, tous pupitres confondus, sous la baguette d’un Peter Eötvös dont la popularité se mesure aux trépignements des pieds qui saluent son retour sur scène au moment des rappels. A la fin de chacune des deux parties du concert, cette complicité et ce talent ont trouvé à s’illustrer de façon éclatante dans Schönberg, d’abord dans les Cinq Pièces, où le chef hongrois insiste davantage sur le rythme, notamment dans la première, que sur la couleur, accordant néanmoins un grand soin à dégager toute la délicatesse de la deuxième, le mystère de la troisième, les tensions de la quatrième et les lignes polyphoniques de la dernière, tirant l’ensemble vers l’abstraction. De même, dans des Variations qui se déroulent d’une seule coulée, il évite toute outrance jusqu’à gommer la violence des contrastes au bénéfice d’une vision unitaire. Un Schönberg dont les lignes de force ressortent avec une belle clarté, à la fois limpide et intense, lyrique et éloquent, expressif et même entraînant. Et expressionniste, assurément, ce qui est bien moins sûr de ses trois lointains héritiers.


Le site de l’Ensemble Modern
Le site de Peter Eötvös
Le site de Bruno Mantovani
Le site du Kulturfonds Frankfurt RheinMain



Simon Corley et Stéphane Guy

 

 

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