Back
Pelléas ! Normandie Théâtre des Arts de Rouen 09/29/2010 - et 1er, 3 octobre 2010 Claude Debussy : Pelléas et Mélisande Ingrid Perruche (Mélisande), Jean-Sébastien Bou (Pelléas), Marc Barrard (Golaud), Elodie Méchain (Geneviève), Jérôme Varnier (Arkel), Théophile Baquet-Gonin (Yniold), Vincent Billier (un Médecin, un Berger)
Orchestre de l’Opéra de Rouen-Haute Normandie, Jean Deroyer (direction)
Alain Garichot (mise en scène), Denis Fruchaud (décors), Claude Masson (costumes), Marc Delamézière (lumières)
I. Perruche (© Jean Pouget)
Mars 2002. Opéra de Rennes. Lever de rideau sur Pelléas et Mélisande du metteur en scène Alain Garichot pour le centenaire de l'œuvre: on s'en souvient comme si c'était hier. On se souvient aussi, avec autant de précision, du mois d'octobre 2000 et de Jean-Sébastien Bou prenant possession du rôle de Pelléas sous les directions de Gilles Bouillon et de Jean-Yves Ossonce à Tours. Pelléas, son Pélléas, toujours aussi sensible, domine, encore aujourd'hui, un plateau pourtant très expert: Jean-Sébastien Bou s'impose à la fois par son élégance juvénile qui silhouette ce qu'on imagine qu'est Pelléas, par sa science du phrasé français et enfin par l'assimilation qu'il a faite du rôle en tant que personnage théâtral, en tant que porteur d'une ligne musicale indissociable de la matière orchestrale, en tant que personnage d'un Tout, emprunt de Symbole, inscrit dans un mythe.
Jérôme Varnier, au fil des ans, est passé des rôles du médecin et du berger à celui du roi Arkel, toujours visuellement un peu jeune pour présider aux destinées d'un royaume du Moyen-Age mais vocalement très posé: voix ronde, ampleur sans grandiloquence, présence vocale compensant la prestance gracile. Le Golaud de Marc Barrard, quant à lui, a une certaine carrure (physique) et participe à renforcer le versant très «noir», implacable, presque claustral de la mise en scène d'Alain Garichot: on a pu croiser des spectateurs qui trouvaient dans l'accablement de ce Golaud une pesanteur fleuretant avec le lugubre sans sentir la menace oppressante qu'il faisait peser sur lui-même par un perpétuel doute maladif, cruel. En effet, ces deux personnages subissent beaucoup (trop) le triste des lieux, on ressent chez eux une sorte de fatalité ou une espèce tenace de théorie des milieux qui feraient que, nous-mêmes, spectateurs, on se sente obligés de prendre la couleur des murs: noire. C'est sûrement volontaire. Cependant, nous préférerions être éblouis par les autres: une Mélisande pure, extatique victime et un Pelléas hypersensible, inconséquent, ivre d'air frais dans un ciel étoilé. Nous préférons voir le supplément d'âme qu'apportent l'évidence de jeu d'un Jean-Sébastien Bou et la grande spontanéité d'Ingrid Perruche portant cette Mélisande qui est née «ailleurs», qui n'est «pas d'ici». Chez Alain Garichot, il semblerait que Jean-Sébastien Bou et Ingrid Perruche se découvrent dans une clairière alors que Marc Barrard, Elodie Méchain et Jérôme Varnier survivent dans la grotte. Dans tous les cas, la beauté simple, limpide, du texte (musique et verbe) ressort et c'est là le principal. Souvent, le statisme des sombres est intéressant parce qu'il réveille le texte; quand Arkel nourrit de l'affection pour Mélisande, qu'il le dit à demi-mot: il se penche, on sent un changement dans cet unique geste et ça nous suffit pour comprendre au-delà.
Enfin, pour une fois, le petit Yniold est un jeune garçon, en la voix (sonorisée) de Théophile Baquet-Gonin, chanteur de la maîtrise des Hauts-de-Seine à l'intonation très sûre, rythmiquement précis, mobile, offrant, seul en scène, une candeur à point nommé dans son échange avec le berger (Vincent Billier situé dans la salle) sur les petits moutons, par exemple ou en duo avec l'exigeant Golaud. Tout le plateau, Théophile Baquet-Gonin compris, soigne une diction déjà parfaite qui rend d'ailleurs superflu le surtitrage.
En fosse, l'orchestre de l'Opéra de Rouen est étonnamment expansif: Jean Deroyer, très friand de musique française, a choisi l'amplitude, fait respirer l'orchestre, sollicite les archets longs, extrait les tenues des bois du reste de l'orchestration, souligne les élans dramatiques, les marches d'intensité, anime des soli au vibrato dense, insiste sur les motifs itératifs, parfois un peu trop car on sait que Debussy aimait que l'orchestre joue «les reflets de l'action» en conservant une «fonction décorative». Toutefois, on trouve en l'orchestre une très belle réponse aux décors de Denis Fruchaud et à la très symboliste mise en scène d'Alain Garichot, tous deux peu «démonstratifs». La scénographie dépouillée propose un plateau avec peu d'éléments: cubes noirs qui permettent les jeux d'ombres (épisode des cheveux - symbolisés par un foulard - qui descendent de la tour), escalier sur un sol laqué réfléchissant la lumière de Marc Delamézière, qui, pour sa part, a composé des cieux qui s'assombrissent en même temps que le drame s'épaissit et le beau ciel étoilé des inconséquents à l'air libre. Toute est sobriété visuelle, jusque dans le déplacement des éléments de décor, entre les scènes, par des servantes du château qui portent un chignon et une longue robe sombre.
Si les Rouennais ont découvert cette production dans le cadre de «Normandie impressionniste», premier choix d'opéra d'une saison mise en œuvre par le nouveau directeur général Frédéric Roels, les Rennais retrouveront le royaume d'Allemonde (distribution musicale en grande partie modifiée) en février 2011.
Pauline Guilmot
|