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«Ainsi donc, voilà l’objet du scandale...?»

Versailles
Château (Galerie des glaces)
10/04/2010 -  
André Campra : Suite de «L’Europe galante»: Prélude, «Frappez, frappez, ne vous lassez jamais...» (Vénus), Loure pour les Ris et les Plaisirs, Canaries, «Paisibles lieux, agréables retraites...» (Céphise), Rondeau, Marche des Masques, «Ad un cuore tutto geloso...» (Une femme du bal), Rondeau, Chaconne et «L’Amour, jeunes beautés, accompagne vos pas...» (Une Vénitienne)
François Colin de Blamont : Suite des «Fêtes grecques et romaines»: Ouverture, Chaconne, «Vous favoris de Mars qui suivez la victoire...» (Un Grec), Premier et deuxième Passepieds
Jean-Marie Leclair : Concerto pour violon opus 7 n° 5, en la mineur
Jean-Philippe Rameau : Suite des «Indes galantes»: Ouverture, «Vous, qui d’Hébé suivez les lois...» (Hébé), Entrée des quatre Nations, «Vaste empire des mers où triomphe l’horreur...» (Emile), Air pour les Persans, «Papillon inconstant, vole dans ce bocage...» (Fatime), Gavotte en rondeau, Premier Menuet pour les Guerriers et les Amazones, Deuxième Menuet, Gavotte, Prélude, «Régnez, Plaisir et Jeux!...» (Zima) et Chaconne

Carolyn Sampson (dessus)
Freiburger Barockorchester, Gottfried von der Goltz (violon solo et direction)


G. von der Goltz (© Marco Borggreve)


Près de vingt ans après les premières «Grandes journées Campra» qui s’étaient déroulées en 1993, le Centre de musique baroque de Versailles remet à l’honneur un des plus grands compositeurs baroques français, André Campra (1660-1744). Auteur d’une œuvre protéiforme (opéras, pièces sacrées, musique orchestrale, musique instrumentale...), Campra jouit d’une certaine notoriété et nombre de concerts lui rendent aujourd’hui hommage. Le concert de ce soir permettait d’entendre notamment des extraits de L’Europe Galante, opéra-ballet créé en octobre 1697 à l’Académie royale de musique sous la direction de Marin Marais.


Nouveau lieu magique et mythique pour écouter un concert, la Galerie des glaces offre un spectacle surnaturel une fois la nuit tombée. Une fois gravi un grand escalier en marbre, l’auditeur déambule dans les salons, ballotté entre les peintures classiques et, l’espace d’une exposition temporaire, les sculptures contemporaines et multicolores du Japonais Takashi Murakami. Dans le Salon de Diane, Le Sacrifice d’Iphigénie de Charles de la Fosse cohabite ainsi avec le célèbre buste en marbre de Louis XIV par Le Bernin, ignorant superbement Pom and me, sculpture censée représenter Murakami et son chat... Dans le salon de Mars, sous le regard dédaigneux de quelques bustes en porphyre d’empereurs romains, les Jellyfish eyes (un petit homme et un petit chien, tous deux juchés sur des champignons aux yeux colorés) côtoient aussi bien l’austère portrait de Louis XV par Carl van Loo que le magnifique tableau, La Famille de Darius aux pieds d’Alexandre par Le Brun! Enfin, aux portes de la Galerie des glaces, Yume lion (Le lion rêveur) sépare les portraits de Louis XIV (le célèbre tableau de Hyacinthe Rigaud) et de Louis XVI, tous deux en costume de sacre. Les mélomanes passent devant ces rapprochements artistiques avec un œil souvent goguenard, quelqu’un s’étonnant même que l’objet du scandale soit, à ses yeux, de si piètre envergure... Une fois arrivé dans la Galerie des glaces, l’auditeur peut doucement gagner son siège, placé au niveau des peintures de Charles Le Brun illustrant notamment La Franche-Comté conquise pour la deuxième fois (1674) et L’Ordre rétabli dans les finances (1662).


L’orchestre, placé sur une haute estrade, débute cette soirée en rendant donc hommage à André Campra dont le programme tout à fait exemplaire nous retrace, au fil de plus de 190 pages, la vie et l’œuvre, les articles étant notamment écrits par Jean Duron, Thomas Vernet et Alexandre Maral. L’Europe Galante, opéra-ballet en un prologue et quatre entrées, a été bâti sur un livret de Antoine Houdar de La Motte (1672-1731). L’histoire est piquante puisque, l’état religieux de Campra lui interdisant de signer des ouvrages dramatiques, l’œuvre parut en premier lieu sous le nom de Joseph Campra, qui n’était autre que son frère cadet (né en 1662, il meurt en 1744, quelques mois seulement avant lui)! Une fois le succès acquis, André Campra demanda à être relevé de ses fonctions ecclésiastiques, ce qui fut fait en 1700. Le synopsis est relativement simple et s’articule autour de la dispute entre Vénus et la Discorde, cette dernière estimant que l’Amour peut facilement être vaincu. Chaque entrée permet de constater successivement que, chez le Français «volage, indiscret et coquet», l’Espagnol «fidèle et romanesque», l’Italien «jaloux, fin et violent» et le Turc, l’Amour triomphe, ce qu’admet la Discorde à la fin de l’ouvrage, Vénus étant alors assurée de sa supériorité. L’orchestre brille immédiatement de mille feux, aidé il est vrai par un décor on ne peut plus approprié: les deux flûtes et le luth dans la «Loure pour les Ris et les Plaisirs», les hautbois, bassons et flûtes de nouveau dans la «Marche des Masques», la magnifique basse de violon solo dans la «Chaconne» conclusive ont été à la hauteur de la réputation de l’Orchestre baroque de Fribourg, dirigé du violon par l’excellent Gottfried von der Goltz. Carolyn Sampson bénéficie certes d’une très belle voix mais on aurait aimé qu’elle chante parfois un peu moins fort et, surtout, que son français soit un peu plus compréhensible. Sa prestation ayant pris quelque assurance au fil de ses trois airs, on soulignera tout particulièrement son virtuose «Ad un cuore tutto geloso...», qui offrit au public un superbe dialogue entre la chanteuse et le violon solo, tous deux n’étant accompagnés que par une discrète basse continue.


Moins connu que son illustre devancier, François Colin de Blamont (1690-1760) fut, avec André Cardinal Destouches (1672-1749), surintendant de la musique du roi en 1719 avant notamment, de succéder à Michel Richard De Lalande à la Chapelle royale, en 1726. Son ballet héroïque à trois entrées (une quatrième entrée dite «Entrée de Diane» a été tardivement ajoutée en 1734), Les Fêtes grecques et romaines, créé en juillet 1723, fut un immense succès. La superbe Ouverture permet immédiatement à l’orchestre de plonger son auditoire dans une époque vieille de près de trois siècles, la fin ayant été ponctuée, hasard des métronomes, par la sonnerie d’une pendule posée dans un salon voisin de la Galerie des glaces. Alternance de climats fort divers, la Chaconne, pompeuse et martiale (le tambour redoublant de sonorité), s’engage ensuite dans une atmosphère plus délicate, qu’il s’agisse d’un très beau passage confié aux flûtes et bassons (rappelant certaines sonorités chez Zelenka ou Pisendel) ou de la fin jouée au violon par Gottfried von der Goltz. Quant au très bel air de Carolyn Sampson, il est de tonalité guerrière, rehaussé par l’éclat des trompettes et du tambour : le résultat est somptueux!


La seconde partie du concert débute par un concerto pour violon, dû à la plume de Jean-Marie Leclair (1697-1764), connu pour être le père de l’école française du violon. Assassiné dans des conditions mystérieuses, Leclair a, outre une brève incursion dans le domaine de l’opéra (sa tragédie lyrique en un prologue et cinq actes Scylla et Glaucus date de 1746), laissé plusieurs ouvrages pour le violon, des sonates et des concertos pour l’essentiel. Celui-ci, tiré de l’Opus 7, possède des accents qui nous transportent immédiatement dans la Venise de Vivaldi même si les timbres sont ici plus noirs, plus dramatiques et moins virtuoses que ce qu’a l’habitude de composer le Prêtre roux. Gottfried von der Goltz l’interprète merveilleusement, jouant également avec l’orchestre dans les tutti, alliant une technique hors de pair avec une musicalité des plus sûres. Le troisième mouvement, qui comporte quelques accents râpeux alla rustica, est également superbe, bénéficiant d’une excellente acoustique qui possède la réverbération idéale, propageant le son de manière parfaitement équilibrée.


Enfin, Carolyn Sampson et l’Orchestre baroque de Fribourg interprètent plusieurs extraits du ballet Les Indes Galantes créé en août 1735 et, naturellement, composé par Jean-Philippe Rameau (1683-1764) sur un livret de Jean-Louis Fuzelier (1672-1752). La partition est célèbre: comment ne le serait-elle pas? On ne sait en effet ce qu’il convient d’admirer le plus entre l’inventivité des timbres, la virtuosité des instrumentistes, la beauté du chant. Après une Ouverture d’une amplitude incroyable, à la rythmique impeccable, Carolyn Sampson attaque ses airs avec une voix très belle mais parfois encore trop puissante, ce qui la conduit, par exemple, à écraser son «accourez» dans l’air «Vous, qui d’Hébé suivez les lois...». Mais quelle présence dans l’air magnifique «Vaste empire des mers où triomphe l’horreur...» où le chant est soutenu par un orchestre vrombissant: tout n’est que houle, flots mugissants, vents tourbillonnants! Les deux Menuets puis la Chaconne concluent de la plus belle façon ce concert extraordinaire où les musiciens de l’Orchestre baroque de Fribourg prouvent une fois encore qu’ils figurent parmi les tout premiers ensembles baroques du monde. Un dernier bis issu des Indes Galantes et l’on peut s’en retourner chez soi non sans avoir jeté un œil au curieux face-à-face entre les Superflat flowers de Murakami et Louis XV donnant la paix à l’Europe: une touche d’exotisme supplémentaire apportée à un concert où l’on aura déjà croisé Sauvages, déesses, Turcs, nymphes et Incas du Pérou...


Le site de l’Orchestre baroque de Fribourg



Sébastien Gauthier

 

 

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