About us / Contact

The Classical Music Network

Bruxelles

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

«Et aujourd’hui, elle s’étouffera dans toute sa majesté»

Bruxelles
La Monnaie
09/09/2010 -  
Philippe Boesmans : Yvonne, princesse de Bourgogne
Dörte Lyssewski (Yvonne), Paul Gay (Le Roi Ignace), Mireille Delunsch*/Lisa Houben (La Reine Marguerite), Marcel Reijans (Le Prince Philippe), Werner Van Mechelen (Le Chambellan), Hannah Esther Minutillo (Isabelle), Jason Bridges (Cyrille), Jean-Luc Ballestra (Cyprien), Guillaume Antoine (Innocent), Simon Korn (Valentin), Marc Coulon (Le Mendiant), Beata Morawska, Alain-Pierre Wingelinckx (Les Tantes)
Chœurs de la Monnaie, Rachid Safir (direction des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Patrick Davin (direction)
Luc Bondy (mise en scène), Katrin Hiller (reprise de la mise en scène), Richard Peduzzi (décors), Dominique Bruguière (éclairages), Milena Canonero (costumes, coiffures et maquillages)


(© Marteen Vanden Abeele)


Repris hors de Belgique dans d’autres mises en scène, les opéras de Philippe Boesmans (né en 1936) s’exportent bien. Une fois n’est pas coutume, le dernier a vu le jour non à la Monnaie, où le compositeur fut en résidence de 1985 à 2007, mais au Palais Garnier l’année dernière. De nouveau de la partie, Luc Bondy a signé avec Marie-Louise Bischofberger le livret (en français) de cette Yvonne, princesse de Bourgogne, «comédie tragique» d’après la pièce éponyme de Witold Gombrowicz. Après une réflexion psychanalytique sur l’amour (Reigen, créé en 1993), un grand opéra «familial» (Wintermärchen, 1999) et un thriller psychologique à huis clos (Julie, 2005), cette quatrième collaboration entre le musicien et le metteur scène évolue sur un ton tragi-comique en recourant à un humour délicieusement grinçant et loufoque. Le propos s’y prête : le prince Philippe choisit pour épouse la disgracieuse et mystérieuse Yvonne, de surcroît silencieuse et adoptant un comportement étrange. La cour, peu fréquentable, s’en étonne tandis que le Roi Ignace, qui cultive sa beaufitude, s’en offusque mais il cède, confronté à la menace de scandale proférée par son fils. Très vite, cette femme singulière, manquant de tenue et à l’âge indéfinissable engendre autour d’elle le malaise ; même Philippe s’en désintéresse. Pour que la sérénité règne de nouveau, il faudra l’éliminer, décemment si possible, en la faisant engloutir, lors d’un dîner de gala, non un poison mais un poisson, en l’occurrence une perche pleine d’arêtes. La stratégie fonctionne à merveille : Yvonne meurt étouffée, la gourmandise étant décidément un vilain défaut. L’argument paraît a priori anecdotique mais grâce à l’acuité de Luc Bondy, qui règle le plateau avec un rare talent, chacun est susceptible d’y trouver matière à réflexion, notamment sur la dynamique sociale et la fascination mais aussi le trouble que provoque la laideur.


Qui n’y voit qu’une farce, au mieux divertissante au pire abjecte, peut au moins se concentrer sur la musique : volontiers ironique, le plus souvent cursive et toujours liée à l’action, elle captive d’emblée et durablement. Le langage de Philippe Boesmans se reconnaît immédiatement mais, encouragé par ce sujet burlesque, il se renouvelle quant à l’alliage des timbres et aux effets sonores. Si le compositeur recourt ponctuellement à des procédés anciens (lacrymosa chanté par Isabelle, la rivale d’Yvonne) voire aux pastiches de la musique baroque et de la Renaissance – l’influence déterminante de Monteverdi –, il le réalise sans hiatus en l’intégrant dans un maillage étroit mais transparent. Compte tenu du genre de la pièce et du choix de la langue, il opte pour un orchestre de dimension mozartienne (avec percussions, piano et harpe), soit entre le gros effectif de Wintermärchen et celui, réduit, de Julie. Parsemée de soli et de combinaisons instrumentales relevant de la musique de chambre, la partition se montre dès lors respectueuse du chant, magnifique dans les nombreuses pages chorales, l’aria de la Reine ou encore la brève mais marquante intervention de l’Innocent épris d’Yvonne. Avec ce nouvel opéra, conçu une fois de plus avec méticulosité, nul doute que Philippe Boesmans est sur le point de léguer une somme lyrique majeure, incontournable et vouée à la postérité.


La saison de la Monnaie s’ouvre sur la reprise de la production parisienne, triomphalement accueillie dès la première. Familiers du compositeur, Patrick Davin et un Orchestre symphonique de la Monnaie tantôt miroitant, tantôt mordant succèdent à Sylvain Cambreling et au Klangforum Wien. Ne lâchant en tout et pour tout que quelques mots – la rendre totalement muette n’aurait-il pas été encore plus efficace ? –, Dörte Lyssewski incarne de nouveau Yvonne : anémiée, défraîchie, (mal) habillée à l’ancienne et portant sans complexe chaussettes blanches et chaussures roses, cette jeune femme ou vieille fille semble avoir été imaginée par Amélie Nothomb. Le reste de la distribution évolue avec spontanéité et veille à la diction de façon satisfaisante. Peu de changement dans les rôles principaux, si ce n’est un Werner Van Mechelen en forme dans le rôle du chambellan et un Marcel Reijans investi dans celui du prince connaissant une crise d’adolescence tardive. Absente à Garnier, Lisa Houben remplace pour trois représentations Mireille Delunsch qui possède les ressources adéquates pour le rôle valorisant de la Reine. Ces presque deux heures qui possèdent leur pesant de cruauté présentent malgré tout un peu d’humanité grâce à Guillaume Antoine, Innocent touchant et qui tranche dans cette sinistre galerie de portraits.


Le site de la Monnaie



Sébastien Foucart

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com