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Trop rare

Paris
Orangerie de Bagatelle
07/02/2010 -  
Frédéric Chopin : Mazurkas, opus 7 – Sonate n° 1, opus 4
Robert Schumann : Carnaval, opus 9
Alexandre Scriabine : Sonate n° 2 «Sonate-Fantaisie», opus 19

Philippe Giusiano (piano)


P. Giusiano


En 1995, aucun premier prix n’a été décerné au treizième concours Chopin de Varsovie, le deuxième prix ex æquo ayant été partagé entre le Russe Alexeï Sultanov (1969-2005) et le Français Philippe Giusiano (né en 1973). Inexplicablement, ce dernier n’en a pas acquis une notoriété à la mesure d’un tel succès et, surtout, de son talent, largement confirmé au cours d’un récital donné dans le cadre de la vingt-septième édition du Festival Chopin à Paris, l’un des seuls lieux de la capitale à programmer cet artiste trop rare.


Devant un public un peu plus clairsemé qu’à l’accoutumée, la première partie est bien sûr consacrée à Chopin, avec d’abord les cinq Mazurkas de l’Opus 7 (1831). Le jeu du pianiste marseillais est toujours aussi soigné et précis, parfaitement articulé mais sans sécheresse, se montrant plus expressif qu’à son habitude, que ce soit dans le caractère populaire, dans l’élan ou dans la mélancolie. En comparaison avec la célébrité des deux premières Sonates, la Première (1828) apparaît quasiment oubliée. Certes nettement moins aboutie, elle n’en demeure pas moins passionnante par ce qu’elle révèle du jeune Chopin: influences (Bach, Beethoven, Schubert, Weber et le bel canto), mètres (le 5/4 du Larghetto) et modulations déjà originaux émergeant d’une confrontation parfois laborieuse aux formes traditionnelles. L’œuvre n’est pas facile à défendre, d’un point de vue aussi bien technique qu’esthétique, mais Giusiano y parvient par un superbe travail sur l’équilibre entre les voix, sans jamais se départir d’une parfaite élégance, restant souple et délicat jusque dans les passages les plus tourmentés.


La seconde partie montre qu’il gagne aussi à être entendu dans d’autres répertoires. Le festival associe cette année à Chopin son benjamin de trois mois, Schumann, dont l’une des pièces de Carnaval (1835) porte le nom du compositeur polonais. Nullement incommodé par la chaleur moite qui règne encore alors que la nuit tombe sur Bagatelle, Giusiano en livre une interprétation extravertie, pleine d’impétuosité et de fougue: un tourbillon emporte ainsi les «Papillons» et autres «Lettres dansantes», mais au-delà du brio et de la prise de risque, il restitue à merveille cette urgence et cette fièvre si schumanniennes. Scriabine, comme Rachmaninov et Szymanowski, fut fortement marqué, à ses débuts, par la musique de Chopin: sa Deuxième sonate (1896) témoigne encore de cette descendance, tout en portant déjà une signature plus personnelle: une «Sonate-Fantaisie» transcendée par le piano de Giusiano, dont la richesse orchestrale fait de l’Andante une succession de feux d’artifice colorés, tandis que le Presto bénéficie d’une agilité sans faille.


Retour, pour les bis, à un Chopin de tempérament apollinien avec le Second des Nocturnes de l’Opus 32 (1837) puis la Deuxième des Valses de l’Opus 64 (1847).



Simon Corley

 

 

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