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Un élève oublié de Schönberg

Paris
Ambassade de Roumanie (Salle byzantine)
06/24/2010 -  et 22 juin 2010 (Berlin)
Norbert von Hannenheim : Sonate pour alto et piano – Sonate n° 1 pour alto et piano – Suite pour alto et piano – Stücke I, III et IV pour alto et piano
Johannes Brahms : Sonates pour alto et piano n° 1 et n° 2, opus 120

Aida-Carmen Soanea (alto), Igor Kamenz (piano)


A.-C. Soanea


En 1948, un an avant sa mort, Schönberg établissait ce constat sévère, pour ne pas dire cruel: «La dureté de mes exigences est [...] la raison pour laquelle peu de mes centaines d’élèves sont devenus compositeurs: Anton Webern, Alban Berg, Hanns Eisler, Karl Rankl, Winfried Zillig, Roberto Gerhard, Nikos Skalkottas, Norbert von Hannenheim, Gerald Strang, Adolph Weiss. C’est du moins les seuls dont j’ai entendu parler.» Parmi ces dix noms, tous n’ont certes pas acquis la célébrité de Berg et Webern, mais Norbert von Hannenheim (1898-1945) demeure sans nul doute l’un des moins connus. Il est vrai que la destinée de cet Allemand de Transylvanie est à l’image de l’histoire complexe et troublée de l’Europe centrale, dont témoignent ne seraient-ce que les appellations successives de sa ville natale, Sibiu, qui fut également Nagyszeben et Hermannstadt. Appartenant à cette génération de musiciens «dégénérés» mis au ban de l’Europe nazie, comme Schulhoff, Ullmann, Krása et Haas, Hannenheim vit lui aussi sa carrière brisée après 1933 et mourut en 1945. Il ne périt toutefois pas dans les camps, ni même lors des bombardements de la capitale du Reich comme on l’a longtemps cru, mais vraisemblablement dans un hôpital psychiatrique berlinois.


Au-delà de ces circonstances dramatiques, l’oubli dans lequel il est tombé tient à ce qu’il détruisit lui-même certaines de ses partitions, tandis que d’autres ont disparu suite au bombardement de la banque qui les conservait dans ses coffres. L’une des pages ayant survécu à ces péripéties a été présentée voici quelques années à l’altiste Aida-Carmen Soanea: née (en 1975) en Roumanie dans une famille de chanteurs d’opéra, comme le laisse deviner son double prénom, mais ayant émigré en Allemagne en 1987, elle ne pouvait qu’être sensible au sort de ce compositeur. Voici deux ans, elle a elle-même redécouvert les copies d’œuvres dédiées à son instrument: effectuées par le musicien qui les avait interprétées en son temps, elles avaient fort heureusement été conservées à Fribourg, où Hannenheim vécut quelque temps durant la guerre. Dans un français parfait, Aida-Carmen Soanea, qui est membre du Quatuor Delian et qui fut par ailleurs soliste de l’Orchestre du Festival de Budapest (2003-2008), fournit tous ces éclaircissements au public convié par l’Institut culturel roumain de Paris en l’hôtel de Béhague.


Construit en 1867, il abrite depuis 1939 les locaux de l’ambassade de Roumanie. Parmi les remaniements et agrandissements réalisés au tournant du XXe siècle, une salle de spectacles, dite «salle byzantine», comprenant un orgue, y fut intégrée. Martine de Béhague, comtesse de Béarn, y accueillit notamment Widor, Fauré, Camille Chevillard et Isadora Duncan. Peut-être parce que le lieu a été conçu à cet effet, les hauts volumes ne créent pas une réverbération excessive. La déception vient en revanche d’un Kawai très enrhumé et étouffé par un couvercle entièrement fermé, réservant d’autant moins d’agréments que le jeu d’Igor Kamenz (né en 1968), augmenté de mimiques incessantes, paraît bien raide.


C’est dans ce cadre que l’altiste et le pianiste russe donnent l’intégralité de ce que Hannenheim a écrit pour alto et piano, avant de l’enregistrer le mois prochain à la Deustchlandfunk: un corpus protéiforme consistant en six œuvres d’intérêt inégal. D’abord une Sonate (1937) en trois brefs mouvements, un Allegro dont le lyrisme et le mordant rappellent Prokofiev, un Adagio mélodiquement et harmoniquement sinueux et un Presto d’humeur légère, presque «Groupe des Six». C’est ensuite une Sonate n° 1, non datée, tout aussi ramassée mais plus ambitieuse: un Andante con moto s’ouvrant sur un ample solo expressif de l’alto, et suivi d’un solo de piano, puis un Presto typique du Berlin des années 1920, entre les turbulences de Hindemith et l’atonalisme de Schönberg.


Après l’entracte, Aida-Carmen Soanea explique que parmi les quatre PiècesStücke»), elles aussi non datées, la Deuxième n’a pas (encore) été retrouvée. Elle les décrit comme des «exercices de style», faisant ainsi observer que le premier mouvement («Un peu lent») de la Première comporte des allusions à Tristan et à Pelléas; il s’enchaîne sans interruption à un «Enjoué, ironique», effectivement guilleret et pince-sans-rire. Plus laborieuse, la Troisième (marquée «Très animé») revendique un caractère néoclassique, tant dans son contrepoint que dans son esprit ludique. Plus travaillés, les deux mouvements de la Quatrième («Légèrement animé» puis «Animé») sont également plus sombres et chromatiques. Enfin, la Suite, pour miniature qu’elle soit, n’en semble pas moins aboutie: un Moderato dans l’esprit de la Sonate n° 1, un Animato aux rythmes instables, seul moment de la soirée où pointe une influence balkanique, et un Presto d’une belle verdeur, tous trois très courts, mettent d’autant plus en valeur le troisième mouvement, un Lento beaucoup plus développé: cette superbe méditation, chant infini de l’alto accompagné par des accords réguliers du piano, évoque curieusement la «Louange à l’immortalité de Jésus» de Messiaen.


Les deux Sonates (1894) de Brahms concluent successivement chacune des deux parties du récital. Quelques problèmes d’intonation, en particulier dans les attaques, ne ternissent pas outre mesure une Première engagée et bien phrasée, plus instinctive que construite. La Seconde se fait volontiers robuste, mais bénéficie à nouveau de la sonorité agréable et chaleureuse de l’altiste.


Le site de l’Institut culturel roumain de Paris
Le site d’Aida-Carmen Soanea
Le site d’Igor Kamenz



Simon Corley

 

 

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