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La Dame sans lac

Paris
Palais Garnier
06/14/2010 -  et 18, 21, 27, 30 juin, 2, 4, 7, 10 juillet
Gioacchino Rossini : La Donna del lago
Juan Diego Flórez*/Javier Camarena (Giacomo V), Simon Orfila (Duglas d’Angus), Colin Lee (Rodrigo di Dhu), Joyce DiDonato*/Karine Deshayes (Elena), Daniela Barcellona (Malcolm), Diana Axentii (Albina), Jason Bridges (Serano), Philippe Talbot (Bertram)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Roberto Abbado (direction)
Lluís Pasqual (mise en scène)


J. D. Flórez & J. DiDonato
(© Opéra national de Paris/Agathe Poupeney)



Après son escale genevoise, la Dame rossinienne arrive à Paris, sous les traits d’une Joyce DiDonato toujours aussi rayonnante, Elena vivante et vibrante. Beauté du timbre, homogénéité d’une tessiture tournant de plus en plus au soprano, souplesse du phrasé, agilité virtuose, tout y est, sans que la colorature, en particulier dans l’éblouissant rondo final, sacrifie à la pure démonstration décorative. On peut en dire autant du Giacomo de Juan Diego Flórez, son alter ego rossinien, à la voix peut-être un rien moins veloutée que naguère, d’une irrésistible séduction vocale, aussi élégant que brillant, capable d’insolentes attaques dans le suraigu, qui jamais ne détimbre la mezza voce – on n’est pas près d’oublier le « Oh, fiamma soave », au début du second acte. Le Sud-Africain Colin Lee avait donc affaire à forte partie pour s’imposer face à son rival, bien que Rodrigo appelle une tessiture plus centrale. Sans être le baryténor attendu, avec un bas médium et un grave trop courts, sans posséder un timbre aux couleurs aussi chaudes, il a une très jolie voix, une technique belcantiste éprouvée, pas moins sûr dans l’aigu, styliste élégant et rossinien authentique. Et tous deux, contrairement à beaucoup, assument la vaillance de leur partie, alors qu’on nous sert trop souvent de petites voix frileuses. Côté authenticité, Daniela Barcellona confirme en Malcolm sa nature de vrai contralto musico, même si le timbre a perdu de son éclat : les deux airs restent d’anthologie, plus encore celui du second acte, grâce à une voix longue et sans rupture dans les registres, une colorature brillante, une générosité dans l’héroïsme et la tendresse, démontrant sans appel que le travesti ne pose ici aucun problème. Beau Douglas, également, de Simon Orfila, à qui l’on a rendu son air – écrit par le collaborateur auquel Rossini, pour pouvoir achever à temps sa Donna del lago, avait confié les récitatifs. Roberto Abbado, en revanche, n’a pas la finesse de Paolo Arrivabeni à Genève, tirant plutôt la partition vers le grand opéra, non sans lourdeur, ne faisant guère pétiller une musique qu’on a souvent traitée avec condescendance et dont il oublie la poésie.



Il n’empêche : pour son entrée à l’Opéra de Paris, qui l’entendit à l’époque aux Italiens, la distribution de cette Dame du lac nous offre un véritable feu d’artifice vocal – mais on ira aussi entendre, en juillet, le Giacomo de Javier Camarena et l’Elena de Karine Deshayes. Malheureusement, comme souvent cette saison, la mise en scène nous empêche de goûter un plaisir sans mélange – cela devient décidément un problème. Lluís Pasqual, directeur de l’Odéon pendant six ans, n’est pourtant pas n’importe qui, signant par exemple en 2008, dans les mêmes lieux, un Prisonnier de Dallapiccola réussi. Sans doute a-t-il voulu montrer, à travers La Donna del lago, une société se donnant à elle-même le spectacle d’une histoire d’amour sur fond de guerre civile, revisitée par l’imaginaire romantique : ce décor monumental, bien dans la manière d’Ezio Frigerio, sans cesse scindé en deux puis reconstitué, est-il un palais ou un théâtre, où un chœur en habit et robe du soir regarde des personnages chamarrés et harnachés comme au Moyen Age ? A moins que ce ne soit des étoiles du chant, comme semble le suggérer le rondo final d’Elena, avec ces lustres descendant des cintres. Est-ce le pays divisé, la conscience d’Elena partagée entre deux soupirants ? La mise en abyme, en tout cas, tourne court, en particulier à cause d’une direction d’acteurs aussi indigente que ridicule, digne de ce qu’on voyait dans les provinces il y a cinquante ans : ces mains sur le cœur, ces index levés, ces poses grandiloquentes, on croyait que tout cela avait vécu. Le retour au carton-pâte, à la toile peinte, à la machinerie – des objets surgissent ici ou là –, doit-il être pris au second degré ? Il semble plutôt relever de l’illustration platement littérale. Ajoutez une chorégraphie ni moins indigente ni moins ridicule : scéniquement, le four est complet, même si les chanteurs y croient. A Genève, le concept étouffait l’œuvre. A Paris, le vide l’atrophie. Les marches ont beau, sous la lumière, scintiller comme des vagues, nous n’aurons pas vu La Dame du lac. Et qu’on n’aille pas nous raconter, une fois de plus, qu’il n’y a rien à faire ici, comme dans tout le seria rossinien : on le disait aussi du seria haendelien. Voilà des années, voire des décennies, que certains, heureusement, nous prouvent le contraire.



Didier van Moere

 

 

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