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Humain, trop humain ?

Paris
Opéra Bastille
05/31/2010 -  et 5, 9, 13, 16, 20, 23, 26, 29 juin
Richard Wagner : Die Walküre
Robert Dean Smith (Siegmund), Günther Groissböck (Hunding), Falk Struckmann/Thomas Johannes Mayer* (Wotan), Ricarda Merbeth (Sieglinde), Katarina Dalayman (Brünnhilde), Yvonne Naef (Fricka), Marjorie Owens (Gerhlide), Gertrud Wittinger (Ortlinde), Silvia Halbowetz (Waltraute), Wiebke Lehmkuhl (Schwertleite), Barbara Morihien (Helmwige), Helene Ranada (Siegrune), Nicole Piccolomini (Grimgerde), Atala Schöck (Rossweisse)
Orchestre de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Günther Krämer (mise en scène)


(© Opéra national de Paris/Elisa Haberer)


On aura beau dire et beau faire : pour Wagner, il faut de grandes voix, surtout pour le Ring à partir de La Walkyrie. Exigence aggravée par les dimensions et parfois l’acoustique des salles d’aujourd’hui, notamment Bastille. Cette première journée de la Tétralogie proposée sur deux saisons par l’Opéra de Paris ne l’a pas vraiment satisfaite. Au premier acte, Robert Dean Smith manque de corps dans le médium et de ténèbres dans le timbre pour Siegmund, le plus barytonnant des ténors wagnériens, en particulier dans les récits, auquel sa belle voix claire ne le destine pas naturellement. Heureusement, il se rachète par la maîtrise de la ligne de chant, le raffinement des phrasés et l’humanité émouvante qu’il confère au malheureux Wälsung. Humanité émouvante aussi de la Sieglinde blessée de Ricarda Merbeth, dont la voix s’épanouit surtout dans l’aigu, parfois un peu timide au premier acte, se libérant progressivement et rayonnant au troisième de sa maternité révélée : si ce n’est pas la Rysanek d’hier ou la Westbroek d’aujourd’hui, beaucoup plus incendiaires, si on la préférait – son jumeau également – dans La Ville morte, la cantatrice allemande séduit par sa noblesse et sa probité. Plus noir que dans Fafner de L’Or du Rhin, Günther Groissböck, en revanche, est vraiment Hunding, brute épaisse mais bien chantante. On craignait beaucoup de retrouver Falk Struckmann en Wotan, après sa contre-performance de L’Or du Rhin : on s’est d’autant plus réjoui de le voir remplacé, ce soir de la première, par Thomas Johannes Mayer, avec qui il alternera. Certes, ici encore, la puissance fait défaut, sur toute la tessiture, et le timbre pourrait être plus royal. Voilà en tout cas un Wotan racé, oscillant entre grandeur et faiblesse, phrasant comme un lied son long récit du deuxième acte, d’une autorité courroucée au début du troisième, puis ému dans ses adieux : il y là un vrai personnage, cédant peu à peu à la Fricka sèche d’Yvonne Naef, dont la ligne de chant épouse les raideurs d’épouse acariâtre et cocue. C’est finalement la Brünnhilde de Katarina Dalayman qui convainc le moins. Elle pâtit d’abord d’un timbre ingrat, voire laid. Les registres, ensuite, se soudent mal, avec des aigus arrachés, pas seulement dans le cri de guerre : le début et la fin du troisième acte trahissent la fatigue d’une voix peinant à trouver son assise. Le médium résiste mieux et l’annonce de la mort, le début de l’ultime tête-à-tête avec le père irrité constituent d’assez beaux moments grâce à un chant à la fois engagé et stylé, parce que surtout la vierge guerrière s’y humanise. Il n’empêche : le rôle excède ses moyens naturels et une telle voix, autrefois, ne s’y serait pas risquée. Curieusement, à Aix, Le Crépuscule des dieux, pourtant bien plus redoutable, la montrait plus à son avantage. Les Walkyries, elles, sont parfaites – on sait à quel point il est difficile de régler impeccablement leurs ensembles. La distribution a donc ses atouts et ses faiblesses : c’est une Walkyrie à visage humain. Trop humain, peut-être.


La direction de Philippe Jordan s’accorde bien à cette humanité. On le savait depuis L’Or du Rhin : il n’a pas la baguette épique. Aucune houle, au premier acte, ne soulève le duo d’amour des deux jumeaux, qu’on voudrait aussi incandescent que la musique. La tension dramatique, dès l’orage, est trop faible. Mais cette lecture limpide, analytique, toute en souplesse et en nuances infinies, où s’équilibrent parfaitement les plans sonores sans cuivres envahissants, aux couleurs remarquablement définies, qui nous rappelle ou nous révèle des détails parfois négligés, ne manque pas d’attrait, flattée par les sonorités d’un orchestre superbe, où se confirment les qualités exceptionnelles des timbaliers. Aux antipodes d’une certaine tradition germanique, La Walkyrie en devient presque un opéra intimiste, une aubaine pour des voix de format modeste, que l’orchestre n’écrase pas. L’accompagnement du récit de Wotan, du coup, est de toute beauté, préservé de tout ennui, avant l’annonce de la mort, où se confirment les qualités exceptionnelles des timbaliers. Cela dit, le chef tient toujours ses musiciens sous un contrôle permanent, comme s’il craignait de s’abandonner, de se laisser emporter par la vague. Les choses changent enfin au troisième acte, la direction prend la mesure de la théâtralité de la partition, elle se tend jusqu’au dénouement, lâche la bride aux musiciens – ça couine un peu, du coup, côté vents – et fait souffler le vent du large : il était temps que la magie opère.


Là où le bât blesse, c’est dans la mise en scène, pire que celle de L’Or du Rhin, à l’opposé de la direction d’orchestre. On a d’ailleurs rarement vu une production aussi unanimement huée un soir de première. L’entreprise de démy(s)tification, tout à fait louable a priori, de Günther Krämer tourne désespérément court, tant elle est inaboutie : lorsque les Walkyries jouent avec les pommes de Fricka, lorsqu’elles lavent à la morgue – version glauque du rocher - les corps ensanglantés des guerriers nus qui se relèvent ensuite et partent pour le paradis des héros, alors que s’exécute une sorte de gymnastique chorégraphiée digne des dictatures asiatiques, on sombre dans le ridicule. Pas moins inabouties les références à l’Histoire ou à l’histoire, d’un didactisme pesant : règlement de comptes meurtrier pendant la tempête afin d’anticiper sur le récit de Siegmund, uniformes râpés de soldats de la Wehrmacht parmi les battle-dress hommes de Hunding, jeunes éphèbes à la Leni Riefenstahl associés aux lettres de « Germania » installées au Walhalla dans L’Or du Rhin, paysage calciné à la fin, avec Erda qui traverse la scène, au cas où l’on n’aurait pas compris l’imminence du crépuscule des dieux. Rien de tout cela n’étaie une vision et, comme dans L’Or du Rhin, sent le déjà vu. Les décors de Jürgen Bäckmann, de plus, sont assez laids et cette pluie incessante qui submerge les vitres de la maison de Hunding finit vite par lasser. Les éclairages de Diego Leetz séduisent moins que ceux de L’Or du Rhin et le rouge pourpre embrasant le rocher ferait plutôt penser à une discothèque. La direction d’acteurs, surtout, impose aux chanteurs un jeu tristement conventionnel, ôtant à l’œuvre de sa force – certaines scènes tournent à vide. N’y a-t-il rien à sauver ? Si, une belle idée, à la fin : Wotan apporte sur le rocher le cadavre de Siegmund et lui dit adieu, à lui aussi, prenant simultanément congé de ses deux enfants préférés. Là, on marche... trop tard.



Didier van Moere

 

 

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