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Le maître et l’élève

Paris
Amphithéâtre Bastille
04/28/2010 -  
Franz Schubert : Quatuor n° 2, D. 32
Frank Bridge : Quatuor n° 3, H. 175
Benjamin Britten : Quatuor n° 3, opus 94

Quatuor Diotima: Yun-Peng Zhao, Naaman Sluchin (violon), Franck Chevalier (alto), Pierre Morlet (violoncelle)


Le Quatuor Diotima (© Thibault Stipal)



Pour le second volet de l’intégrale Britten confiée, en marge des représentations de Billy Budd (voir ici), au Quatuor Diotima, les violons ont échangé leurs pupitres, Yun-Peng Zhao prenant cette fois-ci le premier et Naaman Sluchin le second.


Britten fut, au piano, un interprète privilégié de Schubert: le disque en a préservé le souvenir, notamment dans la Sonate «Arpeggione» avec Rostropovitch ou, bien sûr, Le Voyage d’hiver avec Pears. Comme deux jours plus tôt dans le Premier quatuor de Mozart (voir ici), les musiciens tirent le maximum du Deuxième quatuor (1812): étincelants dans le Presto initial et guillerets dans le Menuetto, ils exploitent tout le potentiel dramatique des mouvements pairs, un Andante mélancolique et un âpre Allegro con spirito final qui basculent dans le mode mineur.


Le choix de cette page agréable mais secondaire, qui aurait aisément pu paraître simplette voire ennuyeuse sous d’autres archets, se justifiait néanmoins par le fait que Schubert n’avait que quinze ans lorsqu’il l’écrivit, âge auquel Britten, déjà très doué, commença à prendre des leçons avec Frank Bridge (1879-1941). Celui-ci venait de terminer le Troisième (1926/1927) de ses quatre Quatuors, généralement considéré comme le sommet de son importante production chambriste: une réputation dont les Diotima démontrent de façon éloquente qu’elle n’est en rien usurpée.


Elève de Stanford, Bridge ne se complaît pas dans le confort postvictorien ou même dans le pastoralisme typiques de bon nombre de ses compatriotes. Si son Troisième quatuor, commande de l’inévitable Elizabeth Sprague-Coolidge créée à Vienne par le Quatuor Kolisch, évoque des affinités stylistiques, c’est dans ce qui se fait alors de meilleur et de plus avancé sur le continent qu’il faut les chercher: il est exactement contemporain de la Suite lyrique de Berg, du Troisième de Bartók, du Troisième de Schönberg et du Second de Szymanowski, et se situe à peu de distance des «Lettres intimes» de Janácek et du Cinquième de Hindemith.


Comme ce dernier, Bridge, violoniste et altiste, exerça durant de nombreuses années dans divers quatuors (Grimson, Joachim, English String Quartet): la qualité et la densité de l’écriture frappent dès le premier thème de l’Allegro moderato initial, dans un langage atonal riche en tensions et frottements aussi bien qu’en lyrisme. Mais le second thème de cette forme-sonate rappelle les «impressionnistes» français par la subtilité de sa facture instrumentale autant que le postromantisme germanique par la puissance de son expression. L’Andante con moto, dominé par la plainte du violoncelle, apporte un tant soit peu de répit tandis que l’Allegro energico final, d’abord de caractère assez proche de celui du premier mouvement, s’achemine vers une conclusion en forme de point d’interrogation.


Immense était le respect de l’élève pour le maître, auquel il présenta en 1937 un «hommage avec affection et admiration»: une série de Variations pour orchestre à cordes, conçue dès 1932 pour le piano, sur un thème extrait de la Deuxième de ses Trois Idylles pour quatuor. Dans cette partition brillante qui contribua à la notoriété du jeune Britten, chaque variation illustre un trait du caractère de Bridge, la dernière citant cinq de ses œuvres. Mais pour ce qui est de l’évolution du quatuor à cordes en Royaume-Uni, son influence est sans doute moins perceptible dans les trois de Britten que dans les cinq de Michael Tippett (1905-1998) ou, peut-être plus encore, dans les treize d’Elizabeth Maconchy (1907-1994), successeur de Britten à la tête de la Society for Promotion of New Music qu’il avait fondée en 1943.


Guère plus fréquent que celui de Bridge, le Troisième (1975) est l’une des toutes dernières créations de Britten: il eut heureusement l’occasion de l’entendre en privé grâce au Quatuor Amadeus, qui en donna la première publique deux semaines après sa mort. Le premier mouvement («Duos») semble prolonger la veine énigmatique et erratique des ultimes quatuors de son ami Chostakovitch, disparu quelques mois plus tôt. L’ironie des mouvements pairs («Ostinato» et «Burlesque») fait également penser au compositeur russe, mais renvoie encore davantage à Mahler, citant presque explicitement sa Neuvième symphonie. Moins abstrait que celui de Bridge, ce Troisième quatuor apparaît en même temps plus composite: le mouvement central («Solo») passe ainsi d’un climat expressionniste à une lumineuse péroraison où le premier violon s’envole vers le suraigu. Le vaste dernier mouvement, «Récitatif et Passacaille», est sous-titré «La Serenissima»: non seulement c’est dans la Cité des doges que Britten acheva la partition, mais il utilise plusieurs thèmes de son récent opéra Mort à Venise. A ce poignant et sensuel assoupissement comme aux quatre mouvements précédents, le Quatuor Diotima confère la tonalité à la fois intense et détachée qui inspire de tels ultima verba.



Simon Corley

 

 

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