Back
N’en déplaise à Chabrier… Paris Opéra-Comique 04/10/2010 - et 12, 14*, 16, 18 avril 2010 Ambroise Thomas : Mignon Marie Lenormand (Mignon), Ismael Jordi (Wilhelm Meilster), Malia Bendi-Merad (Philine), Nicolas Cavallier (Lothario), Blandine Staskiewicz (Frédérick), Christophe Mortagne (Laërte), Frédéric Goncalves (Jarno), Laurent Delvert (Un serveur)
Chœur Accentus, Orchestre Philharmonique de Radio France, François-Xavier Roth (direction)
Jean-Louis Benoît (mise en scène)
(© Elisabeth Carecchio)
Quand Mignon était un des piliers du répertoire, « Connais-tu le pays », « Elle ne croyait pas » ou « Je suis Titania la blonde » faisaient partie des airs qu’on fredonnait dans les familles. Sopranos coloratures, mezzos, ténors d’opéra comique y trouvaient de quoi s’illustrer, tant la musique de Thomas flattait les voix et se coulait aisément dans les codes du genre, parfaitement écrite de surcroît qu’on qu’en ait dit Chabrier dans sa fameuse boutade sur « la bonne, la mauvaise musique et celle de monsieur Ambroise Thomas » - qui eut le tort, aux yeux de la nouvelle génération, de diriger le Conservatoire. Sans rien révolutionner, il reste caractéristique d’une certaine école française, voire d’un certain etablishment musical, que quelques chefs d’aujourd’hui ne craignent pas d’aimer et de défendre, prenant la suite d’un Antonio de Almeida. Après Louis Langrée révélant les beautés d’Hamlet, un chef-d’œuvre pour le coup, voici que François-Xavier Roth s’empare de Mignon. Comparaison n’étant pas raison, n’allons pas chercher ce que Verdi ou Wagner faisaient en cette année 1866.
Une enfant volée et battue en quête de ces origines, découvrant l’amour et sa féminité, une comédienne coquette jusqu’au sadisme, un vieillard amnésique mettant le feu à un château – ce feu provoqua l’incendie de l’Opéra-Comique en 1887, où périt Douce, l’héroïne du film de Claude Autant-Lara -, un jeune homme faisant l’apprentissage de lui-même : l’histoire ouvre des perspectives, sans parler du théâtre dans le théâtre avec la représentation du Songe d’une nuit d’été. Tant pis si le livret cuisiné par Barbier et Carré, comme pour Faust, ignore la profondeur de l’œuvre de Goethe – ils ne s’inspirent d’ailleurs qu’indirectement des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, comme c’était souvent le cas à l’époque. Ces perspectives, Jean-Louis Benoît, le directeur de la Criée marseillaise, ne les explore guère, se contentant, de peur de briser l’esprit délicat de l’opéra-comique, de nous montrer des personnages en perpétuel déplacement, qui, d’Allemagne en Italie, finissent par découvrir leur propre vérité. Une façon de retrouver le romantisme allemand et la fascination de Goethe pour la lumière du Sud, source de révélation intérieure, à travers les costumes d’époque de Thibaut Welchlin et les toiles peintes de Laurent Peduzzi – le lac, par exemple. Rien d’étonnant s’il situe toujours Mignon « entre le sommeil et le rêve », l’éveil n’étant qu’une renaissance lorsque la jeune fille, à la fin, échappe à la mort et peut épouser Wilhelm – la frivole Philine se consolera avec le jeune Frédéric. La mise en scène ne va donc pas très loin, en particulier dans la direction d’acteurs, mais respecte la musique et séduit par sa justesse, notamment dans l’équilibre entre l’émotion et le comique.
Ce retour de Mignon chez lui doit beaucoup à François-Xavier Roth, qui, délaissant ses Siècles, assouplit et allège le Philhar’, dont il est chef associé. On peut à la fois diriger régulièrement l’Ensemble intercontemporain et ressusciter l’esprit d’un genre trop souvent négligé ou méprisé, dont la finesse de coloris, la vivacité, la fraîcheur resurgissent dès l’Ouverture. Il échappe surtout au piège où tombent beaucoup d’excellents chefs dans la fosse de la salle Favart : d’emblée s’installe un équilibre entre la scène, la fosse et la salle – ce qui n’est pas évident avec l’orchestre de Myng-Whun Chung, habitué de surcroît à l’acoustique de Pleyel. Après avoir sonné un peu sec dans le premier acte, l’orchestre trouve ses marques et ses sonorités s’arrondissent, sans que le théâtre perde ses droits. Cela dit, que le chef se trouve, authenticité oblige, face au public, adossé à la scène vers laquelle il se tourne pour suivre les dialogues parlés, ajoute-t-il vraiment quelque chose ?
Les voix aussi doivent renouer avec l’esprit du genre. Dans les dialogues, c’est surtout le Laërte de Christophe Mortagne qui l’incarne, alors que l’accent d’Ismael Jordi agace beaucoup. Heureusement, lorsqu’il chante, il séduit aussitôt par la beauté ensoleillée du timbre, nonobstant un vibrato un peu serré, l’aisance insolente de l’aigu – Alfredo Kraus a dû lui apprendre la messa di voce -, la tenue et l’élégance racée de la ligne, le dosage entre la nuance et le panache, la retenue dans les quelques accents à l’italienne : « Elle ne croyait pas », au troisième acte, frise l’anthologique. Voix petite et pointue, au médium discret, Malia Bendi-Merad, en revanche, ressuscite un type de colorature à la française suranné, dans le sillage d’une Mady Mesplé, alors qu’on s’est habitué, avec une Annick Massis ou une Natalie Dessay, à un renouvellement de l’interprétation des rôles de soprano léger. Elle n’en égrène pas moins impeccablement, brillamment même, ses vocalises de comédienne allumeuse, en particulier dans la Polonaise, couronnée de la « note » attendue. Marie Lenormand, heureusement, reste sobre et émouvante en Mignon, voix courte mais l’exact format de l’héroïne, modèle de style français surtout, qui se garde bien de chanter Carmen – les grandes mezzos étrangères n’ont pas toujours échappé à ce travers – alors que certaines pages relèvent peut-être moins de l’opéra que de la mélodie, à commencer par la Romance « Connais-tu le pays ? » Ce style français, Nicolas Cavallier l’incarne, on le sait, à la perfection, d’une voix étrangement voilée et grisâtre néanmoins. Christophe Mortagne ne l’incarne pas moins, remarquable dans le registre comique par la qualité de sa déclamation, jamais sacrifiée à la bouffonnerie débraillée. Et Blandine Staskiewicz aussi, qui donne à Frédéric un relief et une présence. Remarquable Accentus, enfin, pour achever de faire de ce Mignon exhumé une production honorant l’Opéra-Comique.
N’en déplaise à Chabrier, il y a aussi la musique d’Ambroise Thomas.
Didier van Moere
|