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Paris accueille un grand Paris Salle Pleyel 03/24/2010 - et 25* mars 2010 Igor Stravinsky : Concerto pour piano et instruments à vent
Anton Bruckner : Symphonie n° 5 en si bémol majeur Olli Mustonen (piano)
Orchestre de Paris, Herbert Blomstedt (direction)
H. Blomstedt
Le star system a encore frappé... à rebours : Herbert Blomstedt n’a pas rempli la salle Pleyel, du moins pour son second concert. Quand on s’est illustré à Dresde (la Staatskapelle), Leipzig (le Gewandhaus) et San Francisco, on n’est pourtant pas n’importe qui. Et quand on s’est placé au premier rang des intégrales de Nielsen et de Sibelius, on connaît son affaire. Il est vrai que le public vient souvent au concert pour le concerto et son soliste : celui de Stravinski n’attire pas les foules et Olli Mustonen, s’il joue beaucoup mieux, n’est ni Hélène Grimaud ni Lang Lang. Triste époque.
Aucune sécheresse dans le Concerto pour piano et instruments à vent, si souvent joué avec un côté Groupe des Six, que Blomstedt rattache plutôt à la tradition allemande pour le tirer vers Hindemith, pas si éloigné de Stravinsky dans ces années 1920 – familier du compositeur allemand, il en a laissé de beaux enregistrements. Le Largo introductif a de l’ampleur mais pas de sécheresse, il sonne clair et ne sent pas le pastiche grand siècle, avant un Allegro incisif, ludique, coruscant, très tenu rythmiquement, en particulier dans ses syncopes. Au piano, Olli Mustonen brille par son aisance digitale, la netteté des accents, son panache, sans oublier de timbrer le piano là où beaucoup de pianistes, au lieu de jubiler, ont souvent tendance à jouer droit et carré. Dans le Largo, il ne se laisse pas piéger par un retour à Bach au premier degré, toujours précis, parfois puissant, s’intégrant, notamment dans les cadences, au sombre rituel que le chef ordonne comme une sorte de « In memoriam ». L’Allegro final pétille et pétarade, bouclant la boucle par un retour à l’esprit du premier mouvement, porté par un irrésistible élan motorique, plein de surprises et d’accidents calculés, de déhanchements rythmiques savoureux.
Blomstedt offre ensuite une Cinquième Symphonie de Bruckner de haute volée ; on l’entend rarement aussi inspirée et aussi dominée, sinon par d’authentiques Kapellmeister – au sens noble du terme. Dès le Largo – Allegro, il évite tous les pièges : rien de pesant, de statique ou de raide dans la grandeur, contrastes parfaitement intégrés, éventail dynamique remarquable avec un dosage savant des crescendos, plans sonores magnifiquement définis. On admire surtout la manière dont la direction met la maîtrise de la forme au service d’une dramaturgie et évite toute lecture séquentielle – la pierre d’achoppement, pour Bruckner, surtout dans cette symphonie. On reconnaît là un grand chef, qui sait imposer à la fois de la précision et de la souplesse à un orchestre qu’on ne reconnaît plus. Rien d’étonnant si l’Adagio déploie ensuite tout son lyrisme avec autant de liberté que de rigueur, grâce à une clarté polyphonique qui aère la texture. Et si le Scherzo sonne bon enfant, il avance et sait où il va, grâce à une tension jamais relâchée, jusque dans le Trio, pastoral et charmant, mais tenu pour éviter toute rupture avec le Molto vivace. La fugue finale couronne l’édifice, rien moins que scolastique : comme dans le premier mouvement, le chef architecte inscrit la forme dans une durée, transcendant le tour de force contrapuntique de la double fugue, donnant tout son sens au retour, dans la coda, du thème de l’Allegro initial.
Le public comprend qu’il a vécu un moment privilégié. L’orchestre aussi, qui, comme rarement, fait fête à un grand chef.
Didier van Moere
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