About us / Contact

The Classical Music Network

Madrid

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Est-ce l’heure des mal-aimés ?

Madrid
Teatro Real
02/22/2010 -  & 13, 16, 18, 19, 21, 25, 27, 28 février
Umberto Giordano: Andrea Chénier
Marcelo Álvarez (Andrea Chénier), Fiorenza Cedolins (Maddalena de Coigny), Marco Vratogna (Carlo Gérard), Marina Rodríguez-Cusí (La mulâtre Bersi), Stefania Toczyska (La Comtesse de Coigny), Larissa Diadkova (Madelon), Felipe Bou (Roucher), Marco Moncloa (Fléville, Fouquier-Tinville), Luis Cansino (Mathieu), Carlo Bosi (Un Incroyable), Ángel Rodríguez (Abate), Károly Szemerédy (Schmidt), Pablo García (Il Maestro di casa), Tomeu Babiloni (Dumas)
Orchestre et chœur du Teatro Real, Peter Burian (chef du chœur), Victor Pablo Pérez (direction musicale)
Carlo Centolavigna (décors), Maria Filippi (costumes), Wolfgang von Zoubek (lumières), Giancarlo del Monaco (mise en scène)


M. Álvarez (© Javier del Real)


Deux mois après la première d’Andrea Chénier à l’Opéra Bastille, on assiste à la même mise en scène au Teatro Real de Madrid, avec Marcelo Álvarez également, et Stefania Toczyska en Comtesse: que peut-on aujourd’hui ajouter à ce compte rendu?


Certes, on a eu l’occasion d’observer des réactions parfois étranges. D’abord sur le titre : il semblerait que les « modernes », dédaigneux, aient fait grâce de la vie à Andrea Chénier, comme s’il s’agissait d’un opéra en retraite du répertoire.


On ne saurait se plaindre de trop de modernité au Teatro Real. On y a vu des spectacles osés, parfois ratés, mais très souvent réussis. Mais un théâtre d’opéra se doit aussi de ne pas ignorer le répertoire traditionnel, et cette œuvre centenaire est une réussite, même s’il faut sans cesse répéter, au risque de lasser, que Giordano n’est ni Verdi ni Puccini. Le livret d’Illica est très bien construit, très documenté (les Incroyables, les Merveilleuses, les Assignats, les noms de l’époque, comme Tallien, un des conspirateurs de Thermidor), quoique daté par quelques conventions du mélodrame (le mélange bizarre de politique et d’amour, dès Norma et jusqu’à Sarema, de Zemlinsky, en passant par Verdi, bien sûr). Ce n’est pas un opéra contre la Révolution, mais contre l’étape de la Terreur et de la Vertu. Le début est aussi optimiste que les deux protagonistes masculins, Chénier et Gérard. C’est le moment qui suit la révolte des privilégiés, des États Généraux et du Tiers État de Sieyès. On dirait que pour le monde de l’opéra, la Terreur a plus de poésie que Thermidor: Dialogues des Carmélites (Poulenc), La Mort de Danton (Einem), mais aussi des pièces venues du théâtre, comme celle, très belle et un peu oubliée, sur Fouquier-Tinville et Madame Tallien, Der öffentliche Ankläger (L’Accusateur public) de Fritz Hochwalder. De plus, la musique de Giordano est, pour Andrea Chénier, une progression de type recitativo-cantabile-aria qui ne manque pas de modernité. Hélas, on regrette que cet opéra soit un peu délaissé aujourd’hui.


Encore mal-aimées des modernes : les mises en scènes traditionnelles. Il est vrai que certains respiraient, soulagés, après deux productions d’un niveau peu exaltant, vaguement modernes, et après la Lulu magnifique de Christof Loy, qui n’a pas été très bien reçue au Real (lire ici). L’Andrea Chénier de Giancarlo del Monaco, avec les décors de Centolavigna et les costumes de Maria Filippi, est d’une beauté incontestable. Del Monaco sait très bien faire bouger, marcher, protester, se mutiner les masses (on l’a vu ici-même, où le deuxième acte de La Bohème et Simon Boccanegra ont été très réussis). Certes, le metteur en scène n’applique pas la méthode Stanislavski aux acteurs, n’étant pas lui-même, en général, un « directeur d’acteurs ». Giancarlo del Monaco connaît très bien cette partition : son père, Mario, a chanté le rôle titre pendant plus de deux décennies. La tradition post-romantique des mises en scènes historiquement soignées a battu son plein ici : la tradition de Meiningen, d’Antoine, mais aussi du premier Stanislavski, voire de Copeau, avec un sens de l’architecture qui donne l’illusion de vérité dont le théâtre a parfois besoin. Le réalisme photographique et ethnographique (si l’on peut dire) est un prologue déformant dans la société brillante et condamnée du premier acte, où l’art de la toilette, des perruques pointues et des maquillages pâles qui évoquent la mort constituent une trouvaille.


De plus, la distribution compte de très bons acteurs ; on connaît même le nom d’un des accusés de la scène du Tribunal Révolutionnaire, Gravier des Vergennes; c’est l’acteur Antonio Gómiz, qui construit deux personnages avec une rigueur peu habituelle dans les spectacles d’opéra pour des rôles muets (merci donc à la production pour cette information). Et bien d’autres à son instar.


Le dernier mal-aimé est le directeur musical, du moins pour certains. Pourtant, Victor Pablo Pérez domine la partition dans les moments les plus fougueux, dans les épisodes lyriques, dans les détails et dans les ensembles. Il est artiste mais aussi au service des voix. On se demande s’il en faut encore plus pour donner une vérité musicale à Andrea Chénier. Victor Pablo Pérez est un musicien complet, symphonique, chambriste et de fosse, et il s’illustre dans tous les répertoires des 250 dernières années. Tout cela était présent dans son Andrea Chénier, partition qui change de couleurs, d’intensité et progresse sans détonations particulières, avec des contrastes très motivés.


Cela faisait presque 25 ans qu’Andrea Chénier n’avait pas été donné à Madrid (Carreras, Caballé, Sardinero en Gérard, mais aussi Pons dans le même rôle, dans une production du Teatro de la Zarzuela). Il n’est pas facile de trouver un ténor pour incarner le poète.


Marcelo Álvarez à la voix du rôle titre, un rôle difficile, pas toujours lyrique, avec des envolées vers une espèce d’héroïsme vocal. Le ténor argentin obtient un succès très mérité. La voix a une belle couleur, une puissance, et une capacité lyrique évidentes. L’ensemble est d’excellente facture en dépit, parfois, de quelques tricheries véristes. La soprano italienne Fiorenza Cedolins campe une Maddalena délicate, vocalement courageuse, au chant souvent délicieux et toujours rigoureux. Froideur ? Non pas, mais nuance. Marco Vratogna est peut-être un peu trop discret pour ses capacités, qui sont larges, riches, sans obtenir tout le succès que mérite son Gérard.


Les autres rôles sont très soignés et d’un niveau remarquable pour des personnages qui ne sont pas des protagonistes. Il faut saluer les trois mezzos : Toczyska, bien sûr, qui domine une partie du premier acte par sa présence, sa voix, son savoir faire et sa distinction de grande comédienne ; Diadkova, un luxe émouvant pour le petit mais très beau rôle de Madelon devant le Tribunal; Marina Rodríguez-Cusí, délicate, à la voix belle et parfois obscure, dans le rôle attendrissant de la mulâtre Bersi. Mais il faut aussi faire l’éloge des voix masculines : Marco Moncloa dans ses deux rôles, Felipe Bou, Luis Cansino, Károly Szemerédy, Carlo Bosi, Pablo García, etc.


En bref, une très belle soirée d’opéra, d’un niveau général élevé, pour un très belle œuvre du répertoire vériste, un maestro authentique, une mise en scène luxueuse, réaliste malgré tout, et une distribution plus qu’honorable… Des mal-aimés bienfaiteurs ?



Santiago Martín Bermúdez

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com