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Ludwig van Barenboim Paris Salle Pleyel 02/06/2010 - Ludwig van Beethoven : Concertos pour piano n° 2, opus 19, et n° 3, opus 37
Arnold Schönberg : Variations pour orchestre, opus 31
Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (piano et direction)
D. Barenboim (© Monika Rittershaus)
Ambiance des grands soirs salle Pleyel pour la deuxième des trois prestations de la Staatskapelle de Berlin. Il faut dire que le concert débute sur les mêmes cimes que celles sur lesquelles celui de la veille s’était achevé (voir ici). Et il y restera tout le long d’une première partie où le pianiste s’identifie avec Beethoven, qui créa lui-même le Concerto en si bémol majeur (1795) comme le Concerto en ut mineur (1802), donnés l’un à la suite de l’autre.
Malgré le bataillon des tousseurs, malgré l’avant-garde des sonneries de mobile, malgré l’acoustique de la salle (qui affronte un piano grand ouvert placé presqu’au centre de la scène), malgré les très légers accrocs au clavier et autres menus décalages avec un orchestre qui réagit pourtant au quart-de-tour, tout Beethoven est là. Dans ce mélange de douceur et de force, de délicatesse et de souffle, qui signe le dépassement de Mozart – dont l’esprit espiègle et la désarmante sensibilité habitent pourtant le grand interprète qu’en est Daniel Barenboim – et annonce l’entrée dans le romantisme héroïque. Davantage que le soliste (qui trouve pourtant nombre d’accents magistraux), c’est le chef qu’on veut saluer, sachant instaurer une atmosphère chambriste où resplendit le bonheur de faire de la musique ensemble et où les instrumentistes accompagnent moins le pianiste qu’ils ne dialoguent avec lui (à l’image de ce remarquable trio formé avec le basson et la flûte dans le Largo du Troisième concerto).
Au cœur de l’orchestre – dont il n’est pas pour rien le «chef à vie» depuis dix ans – et dos au public, Daniel Barenboim baigne dans la musicalité comme dans la complicité avec les musiciens de la Staatskapelle de Berlin: non pas le lion en son royaume, mais le renard parmi les siens. Grand renard rusé, multipliant les registres et les sentiments, passant de la caresse à la gifle sans qu’on y prenne garde, suspendant le temps dans les silences de l’Adagio du Deuxième concerto pour mieux faire ressortir les traits d’humour qui inondent les deux Rondos conclusifs, s’abandonnant à l’ivresse infinie des trilles pour subitement incarner le Sturm und Drang le plus enflammé.
La perfection n’étant pas de ce monde, la brève deuxième partie de ce concert – consacrée aux Variations pour orchestre (1928) de Schönberg, initialement annoncées en milieu de programme – retouche terre. Comme le mois dernier à New York (voir ici), Barenboim déçoit dans cette œuvre qu’il appréhende dans une veine sur-expressive, faisant sonner jusqu’à l’orgie la centaine de musiciens amassés sur la scène de Pleyel, dans un volume sonore exaltant une violence bousculée, où l’on perçoit la folie davantage que l’angoisse (comme dans ce Walzertempo ivre et beuglant). C’est Orange Mécanique davantage que Cris et chuchotements que Barenboim projette dans la salle. L’approche peut séduire par son immédiateté et son expressionnisme extraverti. Elle donne surtout envie de retourner à Boulez. Dans Beethoven, par contre, nul risque qu’une telle tentation ne surgisse...
Gilles d’Heyres
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