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Le Moulin résiste

Metz
Opéra Théâtre
01/27/2010 -  et 29*, 31 janvier 2010
Alfred Bruneau : L'Attaque du moulin
Anne-Marguerite Werster (Françoise), Julie Robard-Gendre (Marcelline), Julie Cherrier (Geneviève), Jean-Philippe Lafont (Merlier), Gilles Ragon (Dominique), Philippe Kahn (le Capitaine prussien), Julien Dran (la Sentinelle prussienne), Marc Larcher (le Capitaine français), Christophe Fel (le Tambour), Julien Belle (le Jeune Homme), Patrice Moll (le Sergent prussien)
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Orchestre national de Lorraine, Jacques Mercier (direction)
Eric Chevalier (mise en scène et décors)


J. Robard-Gendre, A.-M. Werster, G. Ragon, J.-P. Lafont
(© Florian Burger/Metz Métropole )



Stimulé par le succès du Rêve (1891), que reprit Mahler à Hambourg, Léon Carvalho, le directeur de l’Opéra-Comique, commanda à Alfred Bruneau L’Attaque du moulin (1893), d’après le conte de Zola publié dans le recueil Les Soirées de Médan. L’écrivain et le compositeur poursuivaient donc leur collaboration, avant de concevoir Messidor (1893), que Strauss dirigea à Munich, et L’Ouragan (1901) – Lazare (1902) et L’Enfant roi (1905) sont postérieurs à la mort de Zola. Une collaboration racontée par Bruneau dans A l’ombre d’un grand cœur, que l’on oublie vite alors que celles de Strauss et de Hofmannsthal, de Claudel et d’Honegger, pour ne citer qu’eux, restent dans les mémoires. Il est vrai que L’Attaque du moulin, créée en 1893, ne se hisse pas au rang d’Ariane à Naxos ou de Jeanne au bûcher. Cette musique écrite sur un livret versifié par Louis Gallet – grand fournisseur des compositeurs de son temps – mérite pourtant qu’on l’écoute : l’élève de Massenet montre un grand métier, parfois de l’inspiration, avec d’intéressantes finesses d’instrumentation et de beaux moments, comme le duo entre le père et la fille ou le quatuor. Quant à l’adieu à la forêt, au deuxième acte, il n’a pas laissé les ténors insensibles, de Georges Thill à Roberto Alagna – celui-ci l’a choisi pour clore son récital d’airs d’opéras français chez EMI.


Ce père renonçant à la vie plutôt que de voir exécuter son gendre, qui a tué une sentinelle allemande, ne peut, aujourd’hui, inspirer une mise en scène s’inscrivant dans le contexte patriotique de la création en 1893. Eric Chevalier l’a bien compris, se contentant de conserver leurs uniformes aux Français et aux Prussiens, anticipant par les croix des cimetières sur la Grande Guerre, vrai dénouement de celle de 1870. Une roue suffit également à symboliser le moulin, roue d’un destin se jouant sur une scène de bois voulue « image du monde ». Le metteur en scène va heureusement au-delà du simple théâtre dans le théâtre : l’histoire du moulin occupé par les Prussiens devient universellement tragique, celle d’un sacrifice héroïquement inutile puisque l’assaut des Français échoue. Pas de pittoresque campagnard non plus, pas d’exaltation béate de la terre. Une direction d’acteurs fine et concentrée convainc de la pertinence de l’idée, assurant la cohérence d’une production qui, musicalement, laisse à désirer.


Elle est pourtant portée par l’excellent Jacques Mercier, dont on ne dira jamais assez les mérites. Le chef de l’Orchestre national de Lorraine a d’abord le sens du théâtre, faisant progresser le drame des réjouissances de la noce au premier acte à la catastrophe finale. Ce connaisseur passionné de la musique française replace aussi la partition dans le grand renouveau de la fin du siècle, rappelant ce que Bruneau doit à Massenet ou à Gounod, restituant en particulier les combinaisons de timbres pour donner à l’orchestre de Bruneau ses couleurs spécifiques. Le bât blesse du côté du chant, malgré la sincérité et l’engagement de tous. Il faut des voix, comme on dit, pour L’Attaque du moulin, et les créateurs chantaient les grands rôles du répertoire français. Si l’on apprécie chez le Merlier de Jean-Philippe Lafont l’art de la déclamation et le sens de la composition, on ne peut que constater l’effet des années sur une voix qui bouge de plus en plus et détone parfois dans l’aigu. Gilles Ragon, lui, paie en Dominique le prix de prises de rôle téméraires : le passage et l’aigu résistent à peine, tant l’émission s’est raidie, endommageant le timbre, empêchant la maîtrise des nuances et compromettant la ligne. Anne-Marguerite Werster pourrait rendre justice à Françoise si elle ne chantait faux dans la quinte aiguë, tandis que Julie Robard-Gendre place sa voix entre les joues et pèche par une articulation pâteuse dans le personnage attachant de Marcelline, la servante du meunier - ajoutée par Zola à son conte - dont les deux fils sont morts à la guerre. C’est finalement la Sentinelle du jeune Julien Dran que l’on retient, pour un début du troisième acte qui nous rappelle ce qu’est le chant français.


Dans son indispensable Mille et un opéras, Piotr Kaminski conclut ainsi sa présentation de l’œuvre : « Le jour où un théâtre français osera reconstruire et maintenir un répertoire national, L’Attaque du moulin y trouvera sa place et, sans doute, son public. » Grâce à l’Opéra de Metz, c’est désormais chose faite – même si l’on ne s’est apparemment pas précipité pour (re)découvrir le drame lyrique de Bruneau… que l’on aurait aimé entendre mieux chanté.



Didier van Moere

 

 

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