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L'opéra noir du communisme

Lyon
Opéra national de Lyon
10/13/1999 -  et 16, 18, 20, 22, 24 octobre 1999
Gilbert Amy : Le Premier Cercle
Alain Vernhes (Roubine), Philippe Georges (Nerjine), Jérôme Varnier (Sologdine), Philippe Do (Doronine), Alain Gabriel (Priantchikov), Thomas Morris (1er Zek), Christophe Bernard (2E Zek), Lionel Peintre (Iakonov), Pierre-Yves Pruvot (Oskoloupov), Marie-Belle Sandis (Serafina), Ingrid Perruche (Larissa), Karine Deshayes (Clara), Sophie Marin-Degor (Nadia)
Orchestre et Choeur de l'Opéra, Michel Plasson (direction)
Lukas Hemleb (mise en scène)

"Ce qui fait la grandeur de Soljenitsyne, et ce qu'on ne lui pardonne pas, [...] c'est d'avoir fait de l'expérience concentrationnaire le lieu privilégié d'une réflexion sur la Russie, sur le monde d'aujourd'hui et sur nous-mêmes, à laquelle nul ne peut rester indifférent" affirme Michel Aucouturier (L'Herne, 1970, repris dans le programme). On n'échappe pas à l'universalité et à l'actualité d'Alexandre Soljenitsyne, aujourd'hui encore où on le moque comme un vieillard vociférant des diatribes réactionnaires, il devient un dissident du monde dans son entier. Le communisme soviétique et ses camps ont disparu mais qu'en est il du bilan réel, de la mémoire des victimes, des responsabilités ? Quelques regards perçants sont jetés néanmoins, et après Le Livre noir du communisme, un compositeur, Gilbert Amy, vient d'écrire l'opéra noir du communisme, Le Premier Cercle.

Dans le Moscou de l'après-guerre, plusieurs hommes travaillent à l'élaboration d'une machine permettant d'identifier un homme à partir de sa voix. Ils sont des prisonniers de la Charachka, une prison spéciale pour scientifiques, le premier cercle encore "vivable" du système concentrationnaire soviétique. Le roman autobiographique de Soljenitsyne, paru en France en 1968, décrit la vie de ces bagnards, dont le boulet est le cynisme bureaucratique, jusqu'au départ de plusieurs d'entre eux pour un cercle encore plus infernal de l'enfermement.

Rédacteur du livret, Gilbert Amy concentre et densifie l'action : le rythme est vif, les tableaux s'enchaînent rapidement (22 scènes et 6 interludes en deux heures !), on n'a pas le temps de s'ennuyer, premier bon point. La richesse du livret lui permet de construire une grande variété de situations, du solo à la scène de groupe. L'oeuvre vit, respire, montre une multitude de facettes. On retiendra particulièrement la rencontre entre un des prisonniers (Nerjine) et sa femme (Nadia) où interdiction leur est faite de simplement se toucher (acte 2, scène 4), ou le désespoir de cette dernière au début de l'acte 3, ou encore l'air "Tristesse n'est pas mortelle, mais elle vous fait chanceler" de Serafina (acte 3, scène 5). Mais cette reprise des codes de l'opéra se double également d'innovations au niveau narratif avec la projection d'un film en plusieurs séquences montrant le "traître" ayant tenté d'appeler une ambassade et que l'on démasquera grâce, justement, à l'empreinte de sa voix. Pour éviter que la noirceur ne devienne trop monotone ou trop démonstrative, Gilbert Amy fait intervenir l'ironie grinçante dans cette tragédie : le personnage de Priantchikov ("Ne vous compliquez pas la vie. Vous n'avez qu'à lire les éditions de la Pravda.") tient un peu le rôle du fou tandis que la parodie de procès que jouent les détenus contre le Prince Igor et "Rimski et Korsakov" fait rire jaune lorsque l'on sait que les "vrais" procès ne valaient pas mieux.

Musicalement Gilbert Amy se situe dans l'héritage d'Alban Berg, mais un Berg plus acéré et décanté, plus "lisible", avec une écriture vocale plus fluide, plus libre, qui s'agrémente parfois de fioritures baroques. La musique russe fait aussi sentir son influence (on perçoit des échos de Chostakovitch dans certaines parties de violoncelle) mais Janacek également. Une "griffe" Gilbert Amy ne nous est pas apparue prégnante (contrairement à Trois Soeurs d'Eötvös par exemple), mais son écriture est remarquable de qualité et d'invention, le drame vit intensément et captive l'auditeur.

La réussite de cette soirée, et de cette création mondiale, tient également à l'engagement exceptionnel des interprètes, des chanteurs (tous parfaits, très homogènes, mais distinguons Philippe Georges qui assume totalement son rôle, le plus important de l'opéra), de Michel Plasson à la direction supérieurement claire et précise, tendue et engagée et de Lukas Hemleb qui réalise un dispositif scénique très modulaire et s'adaptant parfaitement aux différentes scènes. Tous ont eu conscience de participer un événement lyrique, et historique, de la première importance.




Philippe Herlin

 

 

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