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Enchantement Paris Salle Pleyel 11/22/2009 - et 8 novembre 2009 (Berlin) Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte, K. 620 Daniel Behle (Tamino), Marlis Petersen (Pamina), Marcos Fink (Sarastro), Anna-Kristiina Kaappola (Königin der Nacht), Daniel Schmutzhard (Papageno), Sunhae Im (Papagena, Erste Dame), Anna Grevelius (Zweite Dame), Isabelle Druet (Dritte Dame), Kurt Azesberger (Monostatos), Konstantin Wolff (Sprecher, Erster Priester, Zweiter geharnischter Mann), Joachim Buhrmann (Zweiter Priester, Erster geharnischter Mann), Alois Mühlbacher, Philipp Pötzlberger, Christoph Schlögl (Drei Knaben)
Christian Koch (pianoforte), Marie-Ange Petit (percussions), RIAS Kammerchor, Frank Markowitsch (chef de chœur), Akademie für Alte Musik Berlin, René Jacobs (direction)
D. Schmutzhard (© Christopher Reeves)
Voici La Flûte enchantée (1791), nouvelle étape du voyage mozartien de René Jacobs, entamé au Théâtre des Champs-Elysées avec Così en octobre 2000, Les Noces en octobre 2001, reprises en juin 2004), puis La Clémence de Titus en novembre 2005, et poursuivi à Pleyel avec Don Giovanni en octobre 2006 puis Idoménée en novembre 2008.
Encore une Flûte enchantée? Et en version de concert, qui plus est? Aucun regret, pourtant, à l’issue de la soirée, bien au contraire, car voilà l’une des représentations d’opéra les plus vivantes auxquelles il ait été donné d’assister ces derniers mois à Paris: crédible et prenante, de la première à la dernière note, malgré l’absence de costumes, de décors et de mise en scène. Car tout n’est que vie sous la houlette du chef gantois, et ce dès une trépidante Ouverture: une direction animée par un puissant sens dramatique – le dialogue avec l’Orateur, trop souvent réduit à un fastidieux récitatif accompagné par les seules cordes, acquiert ici un rare relief –, mordante, rapide, parfois presque précipitée, même s’il sait aussi prendre le temps, comme dans la scène des hommes en armes. Jamais routinier, il réserve de nombreuses surprises, quitte à prendre des libertés avec le texte, au-delà des seules ornementations vocales ou instrumentales, et à risquer d’agacer: effets spéciaux (cordes sul ponticello pour créer une atmosphère menaçante), piano systématique sur le troisième des triples accords répétés trois fois, accélérations, ralentissements et silences (découpant en tranches le chœur des esclaves ensorcelés par le carillon magique). De même, le choral des hommes armés est confié aux choristes masculins, tandis que les deux couples s’intercalent dans le chœur final, comme les protagonistes de Don Giovanni ou de Così tirant la morale de l’histoire.
Bref, rien d’une énième Flûte, tant s’en faut. En outre, à la différence de bon nombre de réalisations scéniques, l’intégralité des textes parlés est maintenue. Bien loin de plomber le spectacle, ce choix lui confère sa cohérence, avec l’aide du surtitrage: dialogues et airs s’enchaînent avec naturel, les premiers chevauchant parfois même sur les introductions orchestrales des seconds. Pas de tunnels entre les numéros, d’autant que l’habillage sonore de ces passages est très travaillé. Il y a d’abord l’attirail confié à la percussionniste Marie-Ange Petit, presque entièrement dissimulée par des paravents côté cour: grosse caisse, plaque de métal, fouet et autres suggèrent le tonnerre, les éclairs, le vent ou les gouttes d’eau tombant dans quelque caverne humide. Autre invité inattendu, le pianoforte de Christian Koch: s’il se joint ici ou là de façon presque inaudible aux tutti, il s’impose bien davantage lorsque l’orchestre s’arrête, pour commenter, paraphraser, improviser des transitions ou accompagner, par exemple lorsque Papagena, alors déguisée en vieille femme, arrive en chantant le lied Die Alte de Mozart.
Mais ce dispositif ne fonctionnerait pas sans une formidable équipe de chanteurs qui, au lieu de se présenter face au public alignés en rang d’oignons derrière leurs pupitres, ont renoncé à la partition, à l’exception de Sunhae Im, remplaçant Inga Kalna, souffrante, dans le rôle de la Première dame. Ils peuvent ainsi se déplacer librement, devant ou derrière l’orchestre, et même au-delà du plateau: au premier acte, Papageno fait son apparition au parterre, avec sa (véritable) flûte de Pan miniature, et, au second acte, Papagena se faufile dans les tribunes en arrière-scène pour prendre place entre deux spectateurs, passant un bras autour de leur cou. Tout le monde s’amuse visiblement, y compris les excellents musiciens de l’Académie de musique ancienne de Berlin, qui livrent une prestation proche de la perfection, moyennant de menus caprices inhérents à leurs instruments d’époque. Pour les quelques interventions chorales, la présence des trente membres du Chœur de chambre du RIAS n’est pas moins luxueuse.
Un véritable enchantement, en somme, mais dans «enchantement», il y a aussi «chant». De ce point de vue, la distribution, fait quasi exceptionnel, ne comporte aucun point faible, ne serait-ce que par l’attention particulière portée par chacune et chacun au texte et à la diction, parlée ou chantée, Papageno et, plus encore, Monostatos contrefaisant même un pittoresque accent viennois, censé faire écho à la truculence de ceux qui créèrent ces rôles. Le Tamino de l’Allemand Daniel Behle (né en 1975), d’une justesse irréprochable, parfaitement stylé et idéalement phrasé, constitue une véritable découverte. Sa compatriote Marlis Petersen (née en 1968) le cède à peine, faisant admirer un timbre voluptueux et une grande aisance. Malgré un démarrage un peu inégal, l’Argentin d’origine germano-slovène Marcos Fink incarne finalement un Sarastro plus velouté que caverneux. Dans un style volontiers mélodramatique et avec un timbre assez peu séduisant, la Finlandaise Anna-Kristiina Kaappola fait néanmoins mouche à tous les coups dans l’aigu. Autre révélation, l’Autrichien Daniel Schmutzhard (né en 1983) campe un Papageno qui n’oublie jamais de chanter tout en déployant une vis comica aussi efficace que dépourvue de vulgarité, à l’image de son air «Ein Mädchen oder Weibchen» au second acte, où il feint de ressentir progressivement les effets du vin qu’il est en train de boire. A ses côtés, la Papagena de la Coréenne Sunhae Im (née en 1976) ne manque ni de charme ni de piquant. Elle se joint à la Suédoise Anna Grevelius et à la Française Isabelle Druet pour former un trio de Dames tour à tour vif et doucereux. Enfin, pour une fois, le rôle de Monostatos n’est pas du tout sous-distribué, en la personne de l’excellent Kurt Azesberger, qui fit autrefois ses classes au chœur d’enfants de Saint-Florian, dont sont également issus les trois Garçons.
Les absents ont-ils eu tort? Pas tout à fait, car présentée à Berlin au début du mois, cette production va faire l’objet d’un enregistrement. Quant à René Jacobs, pourra-t-il rester en si bon chemin? Vivement L’Enlèvement au sérail!
Le site de l’Académie de musique ancienne de Berlin
Le site du Chœur de chambre du RIAS
Le site de Daniel Behle
Le site de Marlis Petersen
Le site d’Anna-Kristiina Kaappola
Simon Corley
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