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Musique de scène

Strasbourg
Opéra National du Rhin
09/19/2009 -  et 21*, 23 septembre (Strasbourg), 4 octobre 2009 (Mulhouse, La Filature)
Giorgio Battistelli : Richard III
Scott Hendricks (Richard III), Lisa Houben (Lady Anne), Lisa Griffith (Queen Elisabeth), Sara Fulgoni (Duchess of York), Urban Malmberg (Buckingham), Fabrice Farina (Richmond), Philip Sheffield (Edward IV), Christopher Lemmings (Clarence/Tyrrel), Russell Smythe (Hastings)
Chœurs de l'Opéra national du Rhin, Petits Chanteurs de Strasbourg, Maîtrise de l'Opéra national du Rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Daniel Klajner (direction)
Robert Carsen (mise en scène), Radu Boruzescu (décors), Miruna Boruzescu (costumes), Robert Carsen, Peter van Praet (lumières)


S. Hendricks (Richard III) (© Alain Kaiser)


Chaque automne la saison lyrique strasbourgeoise s’ouvre avec une création ou une œuvre récente, tradition déjà ancienne instaurée en coïncidence avec le Festival Musica, et bonne occasion saisie cette année par Marc Clémeur, nouveau directeur de l’Opéra du Rhin, pour importer l’une des productions les plus remarquées de son précédent mandat : le Richard III de Giorgio Battistelli et Robert Carsen, créé à Anvers en 2005.


On attendait avec curiosité cette création française, le Battistelli des Impressions d’Afrique (2001) ou du Combat d'Hector et d'Achille (1989) ayant laissé à Strasbourg le souvenir d’un homme de théâtre inspiré, capable de créer sur scène des mondes attractifs en partant de presque rien : d’une onomatopée, d’un bruit de sable ou de machine à vent… Mais Richard III nous fait reprendre contact avec un musicien à la fois resté reconnaissable et devenu différent, toujours pragmatique mais dont l’inspiration s’épanche désormais à la truelle. Pendant deux heures et trente minutes s’imbriquent à l’infini des procédés en nombre limité : nappes de cordes aux contours flous, rythmes obstinés, textures mouvantes extensibles à volonté, sempiternels précipités de percussions, intervalles inlassablement réitérés… Une esthétique décomplexée du copier/coller, certes commune à de nombreuses musiques de notre temps, mais qui ne peut dissiper l’impression de tirer à la ligne, voire au chronomètre. Quant à l’interpolation de larges passages choraux archaïsants, c'est une facilité qu’un compositeur ambitieux devrait systématiquement se refuser.


Les lignes vocales solistes sont en définitive ce que la partition recèle de plus original, déclamation d’une remarquable fluidité, oscillant élégamment entre chanté et parlé. Mais la dimension shakespearienne du propos, même ouvertement revendiquée, n’est pas au rendez-vous. Dans le même registre on comparera utilement le monologue d’entrée de Richard III avec celui du bâtard Edmund dans le prégnant Lear d’Aribert Reimann : la situation dramatique est très similaire mais le discours musical de Reimann est à ce moment là d’une puissance tragique autrement saisissante que le simple environnement sonore offert par Battistelli à la voix, sans la soutenir vraiment, ni surtout la porter à se dépasser. Confrontés à cette monotonie de l’inspiration, les chanteurs n’ont d’autre choix que de forcer le trait, pour se forger une identité qui reste davantage visuelle que sonore. Somme toute, si ce Richard III reste une formidable expérience théâtrale, musicalement on n’en retiendra que peu d’éléments marquants.


On attendrait du metteur en scène d’une création contemporaine qu’il se mette au service de l’oeuvre nouvelle pour tenter d’en traduire le plus fidèlement possible les intentions premières. Or avec une personnalité de l’envergure de Robert Carsen, il en va tout autrement, le talent et l’imagination brillante de l’équipe scénographique allant parfois jusqu’à occulter le projet initial. Giorgio Battistelli et son librettiste Ian Burton ont conçu un drame historique qui aménage la démesure shakespearienne en la resserrant, mais conserve une linéarité, voire une segmentation, d’opéra conventionnel. Or tout ce qu’on voit sur scène dans cette production fait exploser ce cadre rigide, crée un fantastique défilé d’images surréalistes qui convoque tout à la fois l’expressionnisme allemand, la peinture de Magritte et l’univers ambigu, mi-ludique mi-violent, du cirque et des arènes : un spectacle prodigieux, travaillé jusque dans ses plus infimes détails, qui surimprime sa propre virtuosité à l’œuvre, au point d’en modifier totalement la physionomie. Un parti pris qui en l’occurrence, compte tenu de la relative monotonie de ce que l’on peut entendre, se justifie pleinement. On se laisse fasciner de bout en bout par les solutions, toutes plus élégantes et inventives les unes que les autres, trouvées par l’équipe scénographique pour soutenir l’intérêt : le lieu de jeu est clos, sorte d’amphithéâtre métallique posé de guingois, symbolique de sournois enfermements et déséquilibres, envahi d’un sable rougeâtre que l’on creuse fébrilement ou qu’on projette en grands jets, métaphoriques du sang versé continuellement par le rôle-titre, d’exécutions en assassinats. Ici les seules armes disponibles sont des pelles et des brouettes, mais on s’en sert avec une opiniâtreté meurtrière d’une saisissante crédibilité. Robert Carsen ne s’est pas contenté de confier à son assistant Frans Willem de Haas la remise en route de la production, mais a supervisé lui-même toute la phase finale du travail de répétition. Et sa présence active se devine partout : un spectacle où rien n’est laissé au hasard, cohérence idéale qui rend parfois d’autant plus pénibles les gaucheries qui défilent dans la partition.


La distribution, où l’on retrouve bon nombre des titulaires de la création, n’appelle aucune réserve, hormis la Lady Anne plutôt incolore de Lisa Houben. Presque constamment en scène, Scott Hendricks s’imprègne du rôle de Richard III jusqu’à paraître s’identifier au personnage, composition gibbeuse et maléfique d’une étonnante crédibilité. L’autre figure marquante est certainement la Duchesse d’York de Sarah Fulgoni, qui parvient à habiter l’écriture vocale de son grand air du second acte au point d’en faire le moment culminant de la soirée, ou du moins le seul passage musical dont on ait pu noter la valeur en tant que tel. En fosse, sous la baguette énergique et persuasive de Daniel Klajner l’Orchestre de Mulhouse sonne remarquablement bien, avec une richesse de sonorités et une précision qui apportent un supplément d’impact appréciable.


Curieux bilan au demeurant : un opéra que l’on ne cherchera pas à réécouter, mais une production que l’on reverrait certainement avec beaucoup d’intérêt…



Laurent Barthel

 

 

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