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Un hymne à la gloire de Händel ! Paris Théâtre des Champs-Elysées 10/19/2009 - et 18 (Luxembourg), 20 (Dijon) octobre 2009 Georg Friedrich Händel : Israel in Egypt, HWV 54
Julia Doyle (soprano I), Martene Grimson (soprano II), Robin Blaze (alto), James Oxley (ténor), Peter Harvey (basse I), Stephan MacLeod (basse II)
Chœur Arsys Bourgogne, Concerto Köln, Pierre Cao (direction)
(© François Zuidberg)
Pourquoi Georg Friedrich Händel (1685-1759) a-t-il choisi, à un moment de sa vie, de délaisser l’opéra pour se réfugier dans le monde de l’oratorio ? On a notamment évoqué la lassitude du public londonien (qui fera pourtant un triomphe aux opéras ultérieurs de Galuppi ou Sacchini) ou la volonté du compositeur de quitter le monde profane pour servir Dieu à travers sa musique. En réalité, il semblerait que ce soit surtout la faillite des troupes du Haymarket et de Covent Garden qui, en raison de difficultés financières, d’une moindre qualité des représentations et de la difficulté à recruter des chanteurs de très haut niveau, une des principales attractions pour le public londonien de l’époque, ont conduit Händel, échaudé par des échecs successifs, à se tourner vers ce genre nouveau pour lui qu’était l’oratorio. Saül avait été joué triomphalement à la fin de l’année 1738 ; le public fut en revanche beaucoup plus déconcerté par Israël en Égypte, créé au début du mois d’avril 1739.
Initialement composé de trois parties, ce nouvel oratorio frappait en effet par son caractère décousu puisque la première partie devait décrire le peuple hébreu accablé, la deuxième devait être un large récit historique et la troisième devait se résumer à un monologue de Moïse. Conscient des déséquilibres intrinsèques de son œuvre, Händel la remania profondément, revenant aux classiques deux parties et se fondant sur un seul et même épisode de la Bible, l’Exode. La fulgurance et l’intensité du récit chanté, alliées il est vrai à une musique d’exception, expliquent tout naturellement qu’Israël en Égypte ait gagné sans cesse un intérêt croissant de la part du public qui, aujourd’hui, plébiscite cette œuvre au même titre que Le Messie.
L’interprétation donnée ce soir au Théâtre des Champs-Elysées fut exemplaire de bout en bout. Le chœur est l’intervenant, le personnage pourrait-on même dire, central de cet oratorio ; hormis un récitatif du ténor et une brève aria de l’alto, la première partie ne fait ainsi vocalement intervenir que le chœur. En réalité, mieux vaut parler des chœurs puisque les chanteurs sont divisés en deux ensembles, de part et d’autre de l’orchestre et des solistes. Fondé par Pierre Cao, le Chœur Arsys Bourgogne a fait ses débuts au mois d’octobre 1999 sous la double impulsion de la région Bourgogne et du ministère de la culture. Considéré aujourd’hui comme une des meilleures formations de ce genre, il prouve encore une fois son excellence. Sachant être violents (« They loathed to drink of the river » ou « He gave them hailstones for rain » dans la première partie) mais aussi d’une incomparable douceur, les vingt-quatre chanteurs font preuve d’une cohésion impressionnante. Leur diction parfaite rend ainsi pleinement justice à la dimension théâtrale de cet oratorio et contribue très largement au succès de l’interprétation de ce soir.
Les solistes s’avèrent en revanche quelque peu inégaux. La grande déception vient de Robin Blaze, pourtant si fin connaisseur de ce répertoire et que l’on a pu applaudir sans retenue dans Bach notamment. Son unique intervention au cours de la première partie de l’oratorio (Exodus), l’aria « Their land brought forth frogs, yea, even in the King’s chambers » (« Les grenouilles infestèrent et couvrirent leur pays »), fait entendre une voix mal posée, à la faible et fragile émission, qui manque de se rompre à chaque instant. Il en va de même durant la seconde partie (Moses’ Song) où, que ce soit dans ses interventions solistes (« Thou shalt bring them in ») ou accompagnées par un autre chanteur (le magnifique duo « Thou in my mercy hast led forth… » avec le ténor), Robin Blaze adopte un timbre constamment voilé qui ne convainc guère. A sa décharge, notamment dans le duo précédemment visé, il faut bien avouer que le ténor James Oxley s’avère excellent, jouant habilement d’une voix chaude et puissante. Il en va de même des deux basses, Peter Harvey se montrant quelque peu supérieur à Stephan MacLeod, toujours très bon néanmoins : leur duo « The Lord is a man of war, Lord is his name » (dans la deuxième partie) est absolument renversant, soutenu par une musique inventive et charmeuse dès la première note. Julia Doyle et Martene Grimson (qui remplaçait au pied levé Katharine Fuge) ont peu d’occasion de chanter dans Israël en Égypte, encore une fois très largement dominé par les chœurs ; elles s’en tirent néanmoins avec les honneurs, l’intervention de Julia Doyle (qui a eu l’occasion de chanter l’oratorio durant une vaste tournée européenne aux mois d’août et septembre 2009 sous la direction de Sir John Eliot Gardiner) avec le chœur final s’avérant notamment du plus bel effet.
Minimaliste mais ô combien efficace et attentive, la direction de Pierre Cao témoigne une attention constante et véritablement palpable. Il sait rehausser telle ou telle phrase lorsque cela est nécessaire, encore que la musique se suffise à elle-même, mais surtout veille à constamment soutenir la dynamique du discours. Contrairement à d’autres compositeurs de son époque, Händel sait ne pas forcer le trait : même lorsque l’orchestre (excellent Concerto Köln mais pouvait-il en être autrement lorsqu’un des meilleurs orchestres baroques se frotte à ce répertoire ?) imite ici la nuée de sauterelles, là les flammes du Ciel, Händel parvient à développer la mélodie sans singer de façon scolaire les éléments naturels. Pierre Cao remporte donc un triomphe mérité, salué par un Théâtre des Champs-Elysées plein, avant de bisser la fin du dernier chœur pour le plus grand plaisir de tous.
Le site du Chœur Arsys Bourgogne
Le site de Julia Doyle
Le site de Martene Grimson
Le site de Peter Harvey
Sébastien Gauthier
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