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Gergiev fait-il peau neuve ? Paris Salle Pleyel 09/27/2009 - Claude Debussy : La Mer
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n°8 en ut mineur op. 65 Orchestre symphonique de Londres, Valery Gergiev (direction) V. Gergiev
Toujours Chostakovitch, mais Brahms remplace Debussy : pour son second concert parisien avec l’Orchestre symphonique de Londres, Valery Gergiev est seul. On connaît son goût pour certaines œuvres françaises, qu’il dirige souvent de façon assez hétérodoxe, comme cette Mer de Debussy. Il y a finalement, pour les trois esquisses symphoniques, deux types de chefs : les cérébraux et les sensuels. Gergiev appartient à la seconde catégorie, avec, d’emblée, un « De l’aube à midi sur la mer » dense, opulent, puissamment iodé, gorgé de couleurs, quasi langoureux, sans doute plus proche de Rimski ou de Scriabine que de Debussy, où la direction tient plus de la fresque que de l’épure. Dans « Jeux de vagues », qu’il enchaîne directement, le chef persiste et signe, saturant l’atmosphère plus qu’il n’atomise les sonorités, gommant finalement toute la modernité de Debussy. Pas de pause non plus avant « Dialogue du vent de la mer », où l’on admire les solistes de l’orchestre : c’est un poème symphonique que conduit Gergiev, une sorte de Poème de l’extase marin, où les vagues déferlent, fouettées par le vent, ou s’immobilisent dans le passage en ré bémol. La partition s’achève en majesté, dans une coda grandiose et théâtrale, qui met un terme à une interprétation généreuse, hédoniste et séduisante, mais décidément assez éloignée de l’esprit de Debussy. Bref, avons-nous entendu La Mer ? Cela dit, admirons la façon dont le chef, qu’on a si souvent trouvé instinctif, hâtif, superficiel, tient son orchestre.
Il ne se relâche pas davantage dans la Huitième Symphonie de Chostakovitch, après avoir surpris, la veille, par la tenue dont il faisait preuve dans la Onzième. L’opus 65, il est vrai, se prête moins à la démonstration spectaculaire – moins que la Septième, autre symphonie de guerre, qui fait tant d’effet. L’Allegretto et l’Allegretto non troppo, pourtant, semblent plus impeccables qu’implacables, presque trop plastiques : la musique tourne un peu à vide sous le fouet du rythme, elle n’a pas ces noirceurs d’apocalypse, ces soubresauts grimaçants qu’on attend – peut-être aussi l’orchestre a-t-il des sonorités presque trop belles pour ces visions d’horreur. Les autres mouvements, en revanche, sont superbes, à commencer par l’Adagio-Allegro non troppo initial, où la splendeur orchestrale, justement, n’est jamais gratuite, le chef installant dès les premières mesures une atmosphère douloureuse, se refusant à tout excès dans l’épanchement, ne diluant pas la forme dans l’expression, très maître de lui – à peine pourrait-on lui reprocher un certain manque de tension intérieure dans l’Allegro. De même, il construit rigoureusement la passacaille du Largo, dont la marche funèbre désespérée suspend le temps, avant d’enchaîner très naturellement un Allegretto final, bientôt tordu par l’angoisse, pour le coup, dont les dernières mesures sont splendides, même si leur lumière gagnerait à davantage d’ambiguïté. D’un bout à l’autre de la partition, on aura admiré les solistes de l’orchestre, si souvent sollicités par le compositeur. Et l’on n’aura pas moins apprécié la maîtrise concentrée de la direction : le chef russe est-il particulièrement inspiré par Chostakovitch, dont il vient d’entamer une intégrale avec son orchestre du Mariinsky ? Un nouveau Gergiev est-il en train d’éclore ?
Didier van Moere
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