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Œdipe à Bucarest

Bucharest
Opéra
08/30/2009 -  Et le 2 septembre*
Georges Enesco : Œdipe
Franck Ferrari/Stefan Ignat* (Œdipe), Horia Sandu (Tirésias), Ionut Pascu (Créon), Stefan Schuller (le Grand Prêtre), Pompeiu Harasteanu (Phorbas), Mihnea Lamatic (le Veilleur), Vicentiu Taranu (Thésée), Mihai Lazar (Laïos), Oana Andra (Jocaste), Ecaterina Tutu (la Sphinge), Crina Zancu (Antigone), Adriana Alexandru (Mérope), Sidonia Nica (Une femme thébaine)
Chœur et Orchestre de l’Opéra de Bucarest, Oleg Caetani (direction)
Nicolas Joel (mise en scène)




Créés en 1958, le festival et le concours Enesco se sont maintenus, même quand la poigne de fer du communisme, en particulier sous le sinistre génie des Carpates, imposait à la Roumanie un isolement quasi total. C’est que la tradition musicale y a toujours été vive, alors que, de leur côté, certains compositeurs se situaient dans la mouvance des avant-gardes européennes. Le niveau élevé de la formation, grâce aux lycées musicaux et aux conservatoires, permet au pays de compter un nombre enviable d’orchestres et d’opéras, dont on peut apprécier les qualités durant le festival. Un festival ambitieux, auquel le jeune et dynamique ministre de la Culture, des cultes et du patrimoine national, le francophone et francophile Théodore Paleologu - un universitaire ancien de Normale Sup, docteur de l’EHESS et de l’Université de Munich - se dit très attaché.
Du 30 août au 26 septembre, pas moins de 175 concerts, où les orchestres et les musiciens roumains - à commencer par le pianiste Dan Grigore - côtoient les stars – à commencer par Martha Argerich – et les grandes phalanges internationales, ces dernières devant souvent inclure une œuvre d’Enesco dans leurs programmes – Zubin Mehta et Riccardo Chailly, qui ont refusé, n’ont pas été invités. Cela dit, on ne peut y obliger tout le monde et certains noms attirent trop le public pour qu’on les retire de l’affiche : Mariss Jansons, tant avec le Concertgebouw, qui a soumis le festival à des conditions draconiennes, qu’avec l’Orchestre de la Radio bavaroise, est dispensé d’Enesco. Mais le Philhar’ et Dimitri Kitajenko donnent le Caprice roumain (avec Remus Azoitei), Charles Dutoit et le Royal Philharmonic la Première Rhapsodie roumaine, Vladimir Ashkenazy et le Philharmonia la Symphonie concertante pour violoncelle (avec David Geringas), Marek Janowski et l’Orchestre de la Suisse romande la Première Suite pour orchestre, Nikolai Alexeev et la Philharmonie de Saint-Pétersbourg la Deuxième, Tugan Sokhiev et l’Orchestre du Capitole la Troisième. Pour ne rien dire de la musique de chambre ou de l’œuvre pour piano du maître roumain : Marie Hallynck et Cédric Tiberghien jouent la Seconde Sonate pour violoncelle et piano, Clara Cernat et Thérèse Dussaut le Konzertstück et la Sonate « Torso », le Quatuor Fauré le Premier Quatuor à cordes, le Nash Ensemble le Second Quatuor avec piano. Et l’Opéra de Bucarest accueille, en ouverture de ce dix-neuvième festival, la production d’Œdipe, réalisée par Nicolas Joel pour inaugurer sa dernière saison toulousaine – on regrette seulement de ne pas découvrir d’autres opéras roumains.
Bref, le festival mérite bien son nom et, même s’il garde une dimension internationale, fait une belle place aux interprètes et à la musique du pays. Il s’articule ainsi autour de plusieurs axes : la création roumaine actuelle, Enesco et ses contemporains, les grands orchestres du monde, la musique de chambre, les concerts de minuit, l’opéra et le ballet, les thèmes classiques dans les arrangements modernes, ainsi que le concert de gala des lauréats du concours (composition, piano et violon). Sans oublier le répertoire des « baroqueux », qu’une grande partie du public découvre : William Christie dirige Susanna de Haendel, Marc Minkowski La Création de Haydn, auquel Christian Zacharias et son orchestre lausannois consacrent une soirée, Fabio Biondi propose son programme « Il pianto di Maria ». Ce n’est évidemment pas Salzbourg – Bucarest, progressivement réhabilité pourtant, ne peut encore se mesurer aux grandes cités de l’Ouest et séduire autant de touristes – mais, dirigé de main de maître par Ioan Holender, directeur de l’Opéra de Vienne jusqu’en juin prochain, couvé par le ministre de la Culture, couvert par de grands médias comme CNN ou Mezzo, fort d’un budget indépendant de six millions d’euros, le festival peut être fier de lui.


Relecture d’Œdipe roi et d’Œdipe à Colone de Sophocle, Œdipe ouvre donc le festival. Chef-d’œuvre inclassable et audacieux, fondant dans une ténébreuse et profonde unité les sources d’inspiration les plus diverses, des plus anciennes aux plus modernes, la tragédie lyrique d’Enesco, créée au Palais Garnier le 13 mars 1936, attendit 1958 et le premier festival Enesco pour être représentée dans la capitale de la Roumanie, à travers une version en roumain avalisée par le compositeur lui-même : une production restée fameuse, qu’on put voir aux Champs-Elysées en 1963, dans le cadre d’une tournée de l’Opéra de Bucarest, et que fixa le disque en 1964 avec le grandiose David Ohanesian dans le rôle-titre. Longtemps à l’affiche, elle céda la place, à partir des années 1990, à celles d’Andrei Serban (1995) ou de Petrika Ionesco (2003), très marquée par le cinéma, trop lourde à monter pour être reprise, si bien qu’on lui a préféré le spectacle conçu par Nicolas Joel, le premier à remettre Œdipe sur une scène française – le trop oublié Charles Bruck, né à Timisoara, avait en 1955 dirigé à la Radio une version de concert.
Le nouveau patron de l’Opéra de Paris fait plutôt de l’œuvre un oratorio scénique qu’un opéra, conformément à une certaine idée reçue de la tragédie antique – le décor gris bleu d’Ezio Frigerio, d’un néoclassicisme austère, recrée d’ailleurs les gradins du théâtre grec. Fondé sur une direction d’acteurs plus que discrète, le spectacle privilégie un statisme un peu empesé plutôt que la tension dramatique. Cette humilité met au premier plan la splendeur et la complexité de la musique, qu’on perçoit pourtant difficilement dans les deux premiers actes : l’orchestre sonne mal, Oleg Caetani – on imagine son père Igor Markevitch à sa place – peine à insuffler de la vie à l’œuvre, qui semble à la fois décousue et immobile, servie par une distribution parfois inégale – belle Sphinge au timbre sombre d’Ecaterina Tutu, Grand Prêtre impossible de Stefan Schuller. C’est le chœur, magnifiquement préparé, que l’on écoute surtout.
A partir du troisième acte, on ne reconnaît plus personne : la musique prend chair, l’orchestre se métamorphose, le chef enflamme sa baguette, prend l’œuvre à bras-le-corps et en fait un vrai moment de théâtre en musique, les chanteurs prennent la mesure de leur rôle, du Créon autoritaire de Ionut Pascu au Berger apeuré de Valentin Racoveanu en passant par le Tirésias inquiétant de Horia Sandu. Stefan Ignat, surtout, habite enfin Œdipe, impressionnant dans la scène où la vérité l’écrase, pleinement maître d’une voix confrontée à une écriture vocale singulière, authentique héros tragique. Il reste que tous ont du mal, malgré leurs efforts, à dominer le texte d’Edmond Fleg, ce qui gêne dans une partition où le chant relève de la déclamation à la française, et se seraient sentis plus à l’aise dans la version roumaine… à ceci près que, pour la première, comme à Toulouse, Franck Ferrari chantait le fils de Laïos. Mais ne nous plaignons pas : les deux derniers actes nous ont rendu Œdipe.


Le site du festival Enesco



Didier van Moere

 

 

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