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Boulez Berlin

Aix-en-Provence
Grand Théâtre de Provence
07/05/2009 -  
Béla Bartók : Musique pour cordes, percussion et célesta
Maurice Ravel : Concerto pour la main gauche
Pierre Boulez : Notations I-IV et VII

Pierre-Laurent Aimard (piano)
Orchestre Philharmonique de Berlin, Pierre Boulez (direction)


P. Boulez (© Elisabeth Carecchio)


C’est une rencontre au sommet, de celles où des grands de la musique, qui n’ont pourtant plus rien à prouver depuis longtemps, semblent tirer la quintessence des chefs-d’œuvre. A l’époque de Karajan, la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartók constituait déjà un des chevaux de bataille de la Philharmonie de Berlin. Pierre Boulez, à Aix, reprend le flambeau. Dans l’Andante tranquillo initial, les cordes sont d’une telle perfection dans la rondeur du son et dans la souplesse du phrasé, jusque dans le grand crescendo central, que l’on croirait écouter un orchestre de chambre : la moindre nuance s’entend, la moindre ligne se perçoit. Le chef français, que l’on aurait pu jadis trouver sec, parvient aujourd’hui à conjuguer l’exactitude et le mystère, comme s’il dirigeait, au-delà de la fugue, un nocturne pour orchestre. Il n’est pas moins maître de lui dans l’Allegro, qu’il se refuse à précipiter pour éviter un contraste trop brut, répugnant au pittoresque, épurant les références populaires, d’abord attentif à la pulsation et au dosage des plans sonores, créant une sorte de vertige onirique – les syncopes, les pizzicatos sont d’une incroyable précision. L’Adagio plonge au cœur de la nuit, de ses bruissements, de ses obscures clartés, rejoignant en raffinement sonore les parfums de la nuit debussyste, avec une richesse dynamique laissant deviner le moindre murmure – on ne perd pas, ici non plus, une note du crescendo. Le Finale ne sera pas plus frénétique que l’Allegro, sans contraste trop brutal dans le passage de l’ombre à la lumière, de peur d’émousser la richesse de la polyphonie : pour Boulez, l’inspiration populaire, est d’abord, chez Bartók, quête de la modernité. Il est rare qu’un chef, même aidé par un des plus grands orchestres – le plus grand, pour certains – mette à ce point en exergue l’unité profonde de la Musique pour cordes.


Le Concerto pour la main gauche de Ravel est soumis au même traitement, avec un début qui ne relève plus d’une sorte de magma sonore originel mais dévoile la nouveauté des combinaisons de timbres, et une implacable rigueur rythmique dans les passages jazzy. Prenant le contre-pied d’une certaine tradition, le chef ne déclenche pas un maelström apocalyptique, il révèle d’abord une forme, revisitant certaines pages – celles où le basson chante sur des pizzicatos de cordes sont superbes. La musique, néanmoins, ne perd rien de sa puissance, ni de son mordant, ce qui n’est pas tout à fait le cas de l’interprétation de Pierre-Laurent Aimard, remarquable de maîtrise, mais trop objectif, pas assez inventif, notamment dans les couleurs, n’assumant pas assez l’héritage du démonisme lisztien, si bien qu’on a plutôt l’impression d’entendre un poème symphonique avec piano – il n’y a pas ici l’équilibre entre les deux forces que l’on trouve dans la version de Boulez avec Krystian Zimerman, au jeu pourtant tout aussi maîtrisé.


C’est dans le bis qu’il se montre le plus imaginatif, le plus inspiré. Un bis qu’il qualifie lui-même plutôt de « complément de programme » : fort pertinemment, il joue, dans leur version originelle pour piano, les cinq Notations que Boulez va ensuite diriger. On peut voir ainsi à quel point la version pour orchestre ne relève pas de la simple orchestration, mais de l’œuvre en devenir, enrichie par trois décennies de travail compositionnel, les brèves fusées pianistiques – sur douze, il n’a orchestré que ces cinq Notations – se muant en véritables études pour orchestre. Trois décennies où Boulez s’inscrit dans la grande tradition française, beaucoup moins en rupture qu’on ne l’a dit parfois, rejoignant Dutilleux dans la plasticité et la subtilité des timbres de la Notation I, côtoyant Messiaen et Jolivet – mais oui – dans la flamboyance dionysiaque de la presque exotique Notation II. Entre les deux, les couleurs raffinées de la Notation VII auront créé une sorte de magie nocturne, la Notation III, par son urgence rythmique, n’aura pas relâché sa tension, le lyrisme aura embrasé la Notation IV. Et si Boulez, compositeur prétendument cérébral, était incandescent ? L’interprétation stupéfie par sa virtuosité : sans l’ouverture à un répertoire nouveau voulue par Claudio Abbado, puis par Sir Simon Rattle, l’orchestre n’aurait sans doute pas joué ainsi ces Notations - il semble même y éprouver un plaisir sans mélange, en particulier dans cette Notation II, que le chef, porté par l’accueil triomphal du public, lui fait bisser. Ce fut déjà le cas à Paris, il y a deux ans, avec l’Ensemble Modern. On s’était alors demandé si l’on tenait pas là un « tube » de la musique contemporaine : Aix a donné la réponse.



Didier van Moere

 

 

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