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Au commencement était la fin

Paris
Opéra Bastille
07/07/2009 -  et 8*, 10,11, 13, 14 juillet 2009
Jörg Widmann : Am Anfang (création)

Geneviève Boivin (récitante), Geneviève Motard (Lilith), Denis Podalydès (voix enregistrée)
Christa Schönfeldinger (harmonica de verre), Teodoro Anzellotti (accordéon), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Titus Engel (collaborateur et assistant à la direction musicale), Jörg Widmann (clarinette et direction)
Anselm Kiefer (conception, mise en scène, décors et costumes), Ellen Hammer (collaboratrice à la mise en scène), Urs Schönebaum (lumières), Christoff Wiesinger (assistant aux décors), Blanca Li (chorégraphie)


(© Charles Duprat/Opéra national de Paris)



Contrairement à ce qui a souvent été avancé, Gerard Mortier achève son mandat parisien non pas avec Le Roi Roger (voir ici), si symbolique fût-il de sa programmation, mais sur une création intitulée... Au commencement. Ce titre paradoxal, sinon provocateur, peut s’expliquer par le fait que cette production est présentée «à l’occasion du vingtième anniversaire de l’Opéra Bastille». Mais la principale raison en est donnée par son concepteur, le peintre Anselm Kiefer: «Ma pièce s’appelle "Au commencement" parce qu’elle commence par la fin» et «nous permet d’anticiper l’adieu».


Originale, encore qu’elle puisse être considérée comme un nouvel avatar de Gesamtkunstwerk ou de Musiktheater, la démarche agacera les amateurs de classifications: sur le site de l’Opéra de Paris, c’est à la rubrique «Opéra» que cette expérience pluridisciplinaire a trouvé sa place. Rêve de manager de maison lyrique lassé d’une corporation réputée pour ses caprices ou nouvelle évolution conceptuelle de la notion d’opéra, toujours est-il qu’il n’y a pas ici le moindre chanteur. Et les tarifs (de 5 à 30 euros) ne sont pas ceux d’un spectacle d’opéra, la dernière des six représentations, le 14 juillet en matinée, étant même à entrée libre. Mais la jauge de Bastille, surtout en cette période de l’année, apparaît d’autant plus surdimensionnée qu’à en juger par le déroulement de la deuxième soirée, bon nombre de spectateurs quittent la salle avant la fin. Quant à ceux qui sont parvenus jusqu’au bout de ces quatre-vingts minutes (et de la demi-heure de retard consécutif à une panne d’électricité), on peut difficilement leur en vouloir d’applaudir mollement et même rendre hommage à une clémence à laquelle on n’est pas toujours habitué en ces lieux.


Car s’il faut bien sûr se réjouir de ce qu’un artiste de l’importance de Kiefer se soit vu confier un tel projet, sa concrétisation demeure très en-deçà des espérances qu’il pouvait susciter. Il y est pourtant question de ses thèmes de prédilection, à commencer par son intérêt pour la mystique juive, au travers d’un texte (en français) inspiré des prophètes Isaïe et Jérémie, qui est récité par une actrice (Geneviève Boivin) incarnant, sous le nom de Chekhina, «le peuple juif élu et banni» et précédé d’un long prologue enregistré par Denis Podalydès, diffusé devant une immense carte géographique du «croissant fertile» proche-oriental. Et, comme toujours chez le peintre allemand, c’est un univers de ruines, évoquant cette «année zéro» (1945) qui est celle de sa naissance et de ces Trümmerfrauen déblayant les décombres, en un éternel recommencement de ce commencement qui suit chaque anéantissement, depuis Babylone et Thèbes jusqu’au XXe siècle.


Assisté d’Ellen Hammer, Kiefer signe une mise en scène dont l’essentiel consister à régler les quelques déplacements de la Chekhina et d’une danseuse représentant la figure maléfique de Lilith. Côté cour, un groupe de figurantes reconstruit un muret avec lenteur, brique après brique, les seuls événements notables étant la chute de papiers dorés puis de gravats et poussières, le passage de deux femmes tirant de lourdes pierres et le bris d’une cruche – et ce n’est pas la chorégraphie de Blanca Li pour le personnage de Lilith qui apporte davantage d’animation. Mais c’est surtout le plasticien qui était attendu: à l’image de ses immenses sculptures exposées voici tout juste deux ans au Grand Palais, il a tiré parti de l’immensité du plateau de Bastille pour construire douze tours de guingois, aussi hautes que fragiles, ruines grisâtres devant lesquelles se confondent, sous les lumières rasantes d’Urs Schönebaum, les costumes caméléons qu’il a lui-même conçus. Mais une salle de spectacles n’est pas un musée: son travail perd donc certainement beaucoup à ne pouvoir être vu que de loin, sans bouger, depuis une place assise.


Jörg Widmann ne contribue hélas pas à faire reculer la frontière entre le dépouillement et l’indigence. La façon qu’il a de composer pour des interprètes précis – lui-même à la clarinette, mais aussi Christa Schönfeldinger à l’harmonica de verre et Teodoro Anzellotti à l’accordéon, improbable trio qui assure en solo l’accompagnement du prologue – rappelle Stockhausen, mais sans sa démesure ni sa séduction baroques, tant l’écriture est parcimonieuse. Travaillant avec un effectif mozartien complété par une harpe, des claviers et des percussions, il privilégie les accords longuement tenus, les modes de jeu atypiques et les bruitages, y compris celui du cliquetis provoqué sur scène par la manipulation des pierres, comme une lointaine allusion sonore aux forges de Nibelheim. Statique, la musique dépasse rarement la nuance piano tout en n’en parvenant pas moins à couvrir parfois la voix de la récitante, bien que sonorisée. Un semblant de mélodie et de furtives échappées postromantiques égaient une monotonie minimaliste, sérieuse et pesante, comme s’ingéniant à véhiculer les clichés sur l’esprit germanique. Toutefois, alors que la partition s’achemine vers sa conclusion, un puissant passage de nature purement symphonique retient l’attention. Widmann dirige lui-même un orchestre parfaitement stoïque, mais quand ses nombreuses interventions de clarinettiste soliste ne lui en pas laissent le loisir, il délègue cette fonction à son assistant Titus Engel.


Gerard Mortier a-t-il donc raté sa sortie? Rien n’est moins sûr, car elle est à l’image de son passage dans la capitale: animée par le sens du risque et de l’innovation mais aussi par la volonté de prendre le public à rebrousse-poil, voire de le choquer, sa politique a connu des échecs et des scandales, mais, au-delà des bilans simplistes, partiaux et monolithiques, nul doute que ses mérites et ses réussites ne tarderont pas à être reconnus.


Le site de Jörg Widmann
Le site de Titus Engel
Le site de Christa Schönfeldinger
Le site de Teodoro Anzellotti



Simon Corley

 

 

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