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Weber en vitrine

Baden-Baden
Festspielhaus
05/30/2009 -  et le 1er juin
Carl Maria von Weber : Der Freischütz
Juliane Banse (Agathe), Julia Kleiter (Ännchen), Steve Davislim (Max), Dimitry Ivaschenko (Caspar), Matjaz Robavs (Kilian), Ronald Spiess (Samiel), Reinhard Dorn (Kuno), Paata Burchuladze (Un ermite)
Philharmonia Chor Wien, Mahler Chamber Orchestra, Thomas Hengelbrock (direction)
Robert Wilson (mise en scène, décor et lumières), Viktor & Rolf (costumes)


(© Andrea Kremper)


Pour un public non germanophone le Freischütz de Weber est ressenti au mieux comme un titre historiquement important, l’un des éléments fondateurs de l’opéra romantique allemand. Outre-Rhin, en revanche, ce même Freischütz constitue au même titre que la Flûte enchantée un point de repère essentiel, les personnages d’Ännchen, Max ou Agathe appartenant à un fond commun fréquenté dès l’enfance, au même titre que les héros de Grimm ou d’Andersen. L’affluence énorme qu’a connue le volumineux Festspielhaus de Baden-Baden à deux reprises à l’occasion du Festival de Pentecôte 2008 reflète bien cet attachement atavique, ce d’autant plus que le Freischütz, autrefois pierre angulaire du répertoire de n’importe quel théâtre allemand, s’est beaucoup raréfié aujourd’hui sur les affiches, tradition romantique et Regietheater intellectuel faisant, on le sait, assez mauvais ménage.


Car si personne ne conteste aujourd’hui la valeur musicale du chef d’œuvre de Weber, tout le monde s’entend aussi sur l’impossibilité de le mettre en scène de façon satisfaisante. La faute bien sûr aux effets spéciaux requis par la scène de la Gorge aux loups, mais de loin pas seulement. L’ambiance généralement prosaïque, la rusticité des traditions populaires qui sous-tendent l’intégralité de l’argument, voire les difficultés de toute représentation de la nature sur scène dès lors que l’on a renoncé aux bonnes vieilles toiles peintes d'antan, font aujourd’hui du Freischütz un véritable défi pour une équipe scénographique. Dès lors la tentation de l’expédient, de l’ellipse, voire d’un prudent second degré servent souvent ici de bouée de sauvetage, mais avec un bonheur incertain.


Et même Robert Wilson, dont on pouvait attendre au moins une mise à plat constructive, déçoit beaucoup, la mise en œuvre des procédés habituels de ce metteur en scène répétitif ne s’accompagnant d’aucune proposition originale ni vraiment séduisante. Le parti pris d’une approche enfantine, avec des héros aux attitudes brossées à grands traits et des choristes aux joues bien rouges et aux mouvements saccadés comme ceux de petits automates, constitue une solution de facilité. Achim Freyer procédait de même naguère, dans une ancienne production de l’Opéra de Stuttgart qui a connu son heure de gloire et aussi quelques scandales retentissants… Mais autant Freyer maniait ces ingrédients avec un rien d’humour décapant et aussi une certaine tendresse, autant chez Robert Wilson tout reste figé dans un éternel rituel mécanique purement formel. La première partie fonctionne honorablement, grâce à la virtuosité des éclairages, aux permanents changements des ambiances colorées, à la souplesse des évolutions de petits éléments de décor suspendus ressemblant à des découpages de papier… Mais après l’entracte le spectacle se fige définitivement dans une uniformité blanche de décorum nuptial, avec ses cohortes de choristes aux airs de figurines à planter sur un gâteau de mariés, overdose de meringue et de sucre glace qui bloque l’intérêt dramatique au point mort. On dénoncera aussi le second degré facile de cette dernière partie, qui préfère caricaturer le ridicule de certaines situations (le chœur des chasseurs ou le petit ensemble croquignolet des demoiselles d’honneur…) plutôt que d’assumer le risque de susciter des rires malveillants par une lecture plus sensible. Quant aux énormes costumes signés par les créateurs hollandais Viktor & Rolf, ils transforment la scène en vitrine d’exposition pour autant de créations haute couture surchargées de scintillements (plus d’un million de petits cristaux Swarovski ont été nécessaires). Parfois jolis, souvent effroyablement lourds (y compris au sens premier du terme : la robe d’Agathe, pyramidal bouquet de roses et pivoines géantes, dépasse allègrement les dix kilos), ces luxueux costumes paralysent les chanteurs encore plus sûrement que les codes gestuels habituels imposés par Robert Wilson et soulignent encore la futilité d'un projet dont on attendait mieux sur un strict plan visuel.


Musicalement la distribution tient la route sans faste notable, hormis le timbre attachant de Juliane Banse, moyens un peu voilés mais d’une musicalité qui culmine dans un délicieux Leise, leise au second acte, et l’exubérance mutine de Julia Kleiter, parfaite Ännchen. Steve Davislim aborde Max dans le droit fil du Tamino de la Flûte enchantée, ce qui n’est pas un contresens, avec une voix mozartienne élégamment conduite qui réussit à ne pas paraître trop étriquée. Le Caspar de Dimitry Ivaschenko manque en revanche nettement de creux et de noirceur, et la courte apparition de l’ermite de Paata Burchuladze ne suscite aucun frisson particulier. Plus problématique apparaît la prestation du Mahler Chamber Orchestra, formation souvent intéressante et virtuose mais dont le niveau varie dangereusement en fonction des manies de ses différents chefs de circonstance. Et force est de constater que ce qui sort ce soir là de la fosse du Festspielhaus n’est guère plus attrayant que si Thomas Hengelbrock y dirigeait son habituel Balthazar Neumann Ensemble. La faute peut-être à quatre cors naturels imposés (pourquoi pas, mais en ce cas merci de les laisser respirer et jouer juste…), mais surtout au manque général d’ambition d’une lecture qui se contente de monter certains détails en épingle, au détriment d’une architecture d’ensemble qui reste la plupart du temps lettre morte.


A l’heure du bilan : un Freischütz qui a au moins le mérite d’oser exister à la scène, voire d’engloutir pour la circonstance de considérables moyens. L’ouvrage nécessite au moins cela, mais c’est loin d’être suffisant.



Laurent Barthel

 

 

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