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A la mémoire d’un ange Paris Opéra Bastille 06/17/2009 - Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon, opus 61
Kaija Saariaho : La Passion de Simone (création française) Dawn Upshaw (soprano), Dominique Blanc (voix enregistrée), Frédéric Laroque (violon)
Gilbert Nouno (réalisation informatique Ircam), accentus, Pieter Jelle de Boer (chef associé), Orchestre de l’Opéra national de Paris, Cornelius Meister (direction)
C. Meister (© Fred Toulet/Opéra national de Paris)
Fidèle à Kaija Saariaho, tant aujourd’hui à Paris que naguère à Salzbourg, Gerard Mortier a programmé cette saison La Passion de Simone (2006): 2009 marquant le centenaire de la naissance de Simone Weil (1909-1943), dont la vie et l’œuvre ont inspiré ce «chemin musical en quinze stations», sa création française prenait un relief supplémentaire, en présence de la Finlandaise, entourée pour l’occasion de nombreuses personnalités du monde musical, à commencer par ses confrères Henri Dutilleux et Pascal Dusapin.
Comme pour L’Amour de loin (voir ici) et Adriana Mater (voir ici), le texte en est signé Amin Maalouf. Mais il s’agit cette fois-ci d’un oratorio, et non d’un opéra. Cela étant, si son titre évoque inévitablement un genre notamment illustré par Bach, il ne s’y conforme que très lointainement: d’origine juive, Simone Weil s’est certes orientée dans ses dernières années vers le christianisme, mais l’écrivain franco-libanais ne fait pas appel à des références religieuses. Il mêle citations de la philosophe, confiées pour l’essentiel à une voix enregistrée, celle de l’actrice Dominique Blanc, et éléments biographiques, répartis entre un chœur mixte et une soprano solo, invoquant «Simone» tour à tour comme «grande sœur» et comme «petite sœur». Si cette approche plus ou moins narrative peut évoquer l’Evangéliste, la similitude avec les Passions baroques est, dans l’intention de Saariaho, exclusivement formelle, car la préposition a évidemment son importance: ce n’est pas de «Passion selon Simone» qu’il s’agit ici, mais de la «Passion de Simone», hommage à un parcours atypique autant qu’exemplaire.
L’exercice était certes malaisé, mais un tel destin et une telle personnalité méritaient sans nul doute mieux que cette admiration béate qui s’englue dans une paraphrase édifiante et compassée, les maladresses du livret provoquant davantage le sourire ou la gêne que l’émotion. Mais après tout, Gide estimait que ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on peut faire de la bonne littérature. La déception principale tient à ce que son jugement est hélas aisément transposable à la musique. De grande ampleur, bien moins par son effectif, somme toute traditionnel, que par sa durée (soixante-dix minutes), la partition ne quitte que rarement un profil consensuel et officiel, c’est-à-dire, quelque tristesse qu’on ait à le constater, académique: utilisées de façon conventionnelle, les ressources vocales, instrumentales et électroniques contribuent à un climat volontiers postromantique ou expressionniste, qui n’échappe pas au figuralisme, comme ces percussions qui décrivent le travail en usine. Cantonnée à un récit teinté de déplorations et d’incantations, la voix soliste laisse une grande place à l’orchestre, qui aurait pu porter les souffrances et les combats de Simone Weil si le caractère monocorde du tempo, lent ou modéré, et la grisaille de l’écriture ne finissaient pas par susciter la lassitude. Bref, un pensum bien-pensant, avec minute de silence obligée, que le chef fait dûment respecter bien après que les dernières résonances se sont évanouies.
Avant l’entrée en scène des musiciens et des quarante-trois choristes d’accentus, Mortier avait fait monter la tension, annonçant que Dawn Upshaw, victime d’une indisposition, se déclarait toutefois prête à tenir sa partie mais qu’un report de la représentation ne pouvait être exclu. Tout s’est finalement déroulé au mieux et la prestation de l’Américaine, créatrice de l’œuvre, n’a jamais semblé s’en ressentir, conservant en particulier une diction exemplaire, de nature à dispenser les spectateurs d’avoir à se rabattre sur la lecture, bien qu’ils aient été assistés à la fois par le surtitrage et par le texte joint au programme de salle.
Sans nul doute difficile à opérer, le choix du lever de rideau, à savoir le Concerto pour violon (1806) de Beethoven, intrigue. Est-ce parce qu’il a été composé exactement deux siècles plus tôt? Sans doute que non, puisque c’est apparemment le Triple concerto qui avait été envisagé dans un premier temps. Est-ce pour attirer un public souvent assez rétif à la musique contemporaine? Auquel cas l’objectif n’a été que partiellement atteint, car bien des fauteuils sont restés vides. Pour s’en tenir au genre du concerto pour violon, celui de Berg, «A la mémoire d’un ange», aurait constitué une première partie moins copieuse et plus en rapport avec la thématique de cette soirée.
Toujours est-il que Frédéric Laroque, l’un des deux Konzertmeister de l’Orchestre de l’Opéra, a du mérite à lutter contre les vastes volumes d’une salle qui n’est décidément pas destinée à un instrument solo tel que le violon. Tout en devient émoussé et lointain, même depuis le centre du parterre: l’élégance confine à la neutralité, la sonorité donne l’impression d’être ténue et, au demeurant, cette fragilité ne dissimule pas toujours une intonation imprécise. Adoptant une allure très retenue au point d’en paraître statique, l’interprétation ne parvient donc pas à captiver, d’autant que la sensibilité y flirte avec la sensiblerie, par exemple dans cette manière de ralentir juste avant les pics expressifs. Dommage pour l’accompagnement bien conduit par Cornelius Meister (né en 1980), directeur musical à Heidelberg depuis 2005 et futur directeur artistique de l’Orchestre symphonique de la Radio de Vienne, où il succédera à Bertrand de Billy à compter de 2010.
C’est Christoph von Dohnányi qui dirigera le dernier concert de la saison de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris, dès le 25 juin prochain à Pleyel, dans un programme Goubaïdoulina (avec la violoniste Arabella Steinbacher) et Tchaïkovski: un événement en perspective, compte tenu de la très forte impression laissée par la précédente venue du chef allemand en janvier 2008 (voir ici).
Le site de Kaija Saariaho
Le site d’Amin Maalouf
Simon Corley
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