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Orchestres éclatés

Paris
Salle Pleyel
06/11/2009 -  
Luciano Berio : Formazioni
Anton Webern : Cinq pièces, opus 10
Bruno Mantovani : Le Livre des illusions (Hommage à Ferran Adrià) (création)

Benoît Meudic (réalisation informatique musicale IRCAM), Orchestre de Paris, Jean Deroyer (direction)


Jean Deroyer (© Pierre Johan Laffitte)



Du 8 au 19 juin, Agora emprunte les «sentiers qui bifurquent» évoqués par Jorge Luis Borges. Des sentiers aux Chemins de Luciano Berio, il n’y a qu’un pas: au centre de la programmation du festival de l’IRCAM, un «parcours» en trois concerts lui est dédié, suscitant trois des vingt créations à l’affiche de cette douzième édition, qui offre par ailleurs une «rétrospective intégrale» du cinéaste Lars von Trier.


Après Passaggio pour la soirée d’ouverture et avant Coro le 13 juin à la Cité de la musique, l’Orchestre de Paris – toujours fidèle au compositeur italien, qui était même venu le diriger en 1983 et dont il a créé les ultimes Stanze (voir ici) – a choisi Formazioni (1987/1988), une pièce d’un peu moins de vingt minutes commandée par le Concertgebouw. Ample (bois par quatre, cinq clarinettes, six cors, ...) mais traditionnel, l’effectif instrumental se caractérise avant tout par sa disposition sur scène, qui déroge partiellement aux usages, dans le but d’obtenir de nouvelles relations entre les différentes familles d’instruments: une partie des bois occupe ainsi la place habituellement dévolue aux premiers violons, repoussés vers le centre, de part et d’autre duquel dialoguent deux importants groupes de cuivres. Au-delà de cette recherche sur les «formations», la gestuelle un peu raide de Jean Deroyer n’empêche pas babil, éclats, diaprures et puissants chorals de se succéder dans un superbe raffinement de textures. Les Cinq pièces opus 10 (1913) de Webern font également éclater l’orchestre, le pulvérisant en un concentré dont le chef français fait davantage ressortir l’implacable rigueur que la force poétique.


Trois mois à peine après la première de son vaste Concerto pour deux altos (voir ici), Bruno Mantovani est déjà de retour avec une œuvre orchestrale de grande envergure (près d’une demi-heure). Comme son nom l’indique, Le Livre des illusions entend rendre hommage à celui qu’il considère comme l’un des grands maîtres actuels de l’illusion: non pas un illusionniste au sens strict du terme, même si son accent épais et son expression truculente évoquent le regretté Garcimore, mais un cuisinier, Ferran Adrià, que d’aucuns s’accordent à considérer comme «le meilleur du monde». Il est en tout cas l’un des pionniers de cette «cuisine moléculaire» dont certains contestent aujourd’hui les effets sur l’organisme. Dans son établissement de la Costa Brava, il sert un menu en trente-cinq plats aux intitulés souvent intrigants, voire provocateurs, que le compositeur a eu la chance de goûter en 2007. Ils lui ont inspiré autant de courtes pièces – certaines durent moins de deux secondes – enchaînées sans interruption.


En compagnie de ses deux «chefs», Deroyer et Adrià, il se livre à une présentation d’un quart d’heure. Il forme avec le patron de ce «trois étoiles», qui, pour l’occasion a quitté son... piano, un duo qui confirme que le surréalisme demeure une valeur sûre en Catalogne. Excellente initiative pédagogique, au demeurant, qui manque à bien des concerts, et pas seulement de musique contemporaine: se concentrant sur trois extraits («Olives sphériques», «Eponge de sésame» et «Risotto de pamplemousse») que l’orchestre illustre à sa demande, il fait comprendre au public comment il s’est efforcé de traduire ses sensations et les correspondances entre les mets et les sons.


In cibo veritas? Musique et table, musique de table: le mélomane et le musicien dissimulent souvent un gourmet. C’est peut-être pourquoi certains compositeurs, par l’odeur alléchés, ont souhaité venir à Pleyel en juger par eux-mêmes: Henri Dutilleux, Kaija Saariaho, Suzanne Giraud, ... Au demeurant, bon nombre de leurs prédécesseurs, tels Rossini, R. Strauss ou Rosenthal, ont tenté d’évoquer en musique le déroulement d’un repas complet et Mantovani s’est d’ailleurs lui-même déjà prêté à un exercice similaire, dans ses Quelques effervescences pour alto et piano d’après différents vins pétillants. Mais son intention n’était évidemment pas ici de se muer en critique gastronomique pour «décrire» son expérience au restaurant El Bulli.


La transposition de l’illusion gustative tient, après Berio et Webern, à une autre manière de faire éclater l’orchestre: s’il est disposé de façon plus classique que chez le premier et plus fourni que chez le second, malgré la défection des hautbois, bassons et cors, l’informatique en modifie la nature et la perception. L’IRCAM est à Mantovani ce que l’azote liquide est à Adrià: non seulement certains instruments, essentiellement les vents et percussions, bénéficient d’une amplification et d’une transformation en temps réel, mais l’auditeur est cerné de hauts parleurs, de telle sorte qu’il a l’impression que les flûtes sont situées dans son dos, alors qu’elles sont placées comme de coutume derrière les cordes.


Mouvementée et énergique, spectaculaire et virtuose, l’écriture, si elle ne brille pas par son originalité, soutient sans cesse l’intérêt et parvient à éviter l’écueil de l’émiettement. Le compositeur indique d’ailleurs y avoir veillé, faisant en sorte de «sortir d’une logique de catalogue» en créant des «retours» qui mettent en relation certains plats entre eux. Musique moléculaire? Après les sushi weberniens, la pâte tient davantage au corps, mais semble avoir comblé l’appétit des spectateurs.


Le site d’Agora
Le site d’El Bulli
Le site de Jean Deroyer



Simon Corley

 

 

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