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Un démiurge à la baguette Paris Saint-Denis (Basilique) 06/07/2009 - et 8 juin 2009 Giuseppe Verdi : Messa da Requiem Barbara Frittoli (soprano), Olga Borodina (mezzo-soprano), Ramón Vargas (tenor), Ildar Abdrazakov (basse)
Choeur de Radio France, Matthias Brauer (chef de chœur), Orchestre national de France, Riccardo Muti (direction)
R. Muti (© Andrea Tamoni)
Cette année encore, le Festival de Saint-Denis affiche un programme particulièrement riche et diversifié, permettant d’écouter aussi bien de grandes œuvres chorales et orchestrales – notamment Kurt Masur dans Le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn, Pierre Boulez dans la Messe glagolitique de Janácek, John Nelson dans la Neuvième symphonie de Beethoven ou Christophe Rousset dans le Stabat Mater de Pergolese – que dans le répertoire chambriste ou les musiques du monde.
A l’image des années précédentes, le Festival s’ouvrait par un concert attendu de tous les mélomanes en raison du prestige tant de ses interprètes que de l’œuvre donnée. Le Requiem de Giuseppe Verdi (1813-1901) est en effet, et ce depuis sa création, une œuvre phare du grand répertoire. Composé en hommage au poète et écrivain italien Alessandro Manzoni (1785-1873), il fut créé le 22 mai 1874, à Milan, sous la direction du compositeur. Accueilli triomphalement, il fut rapidement donné partout en Europe, à commencer par Paris, tout juste une semaine après sa création. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Festival de Saint-Denis ne l’a programmé qu’à trois reprises en quarante ans : en 2006, il avait été dirigé par Myung-Whun Chung à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France et, en 1982, Riccardo Muti le donnait déjà avec l’Orchestre national de France. Le concert de ce soir officialisait donc ces retrouvailles puisque, de nouveau et comme les années précédentes, le célèbre chef napolitain ouvrait le Festival à la tête d’un National dont il est, parmi les grandes baguettes internationales, un des invités les plus fidèles.
La connaissance de l’œuvre de Verdi n’a plus de secret pour Muti, lui qui, depuis tant années, donne régulièrement ses opéras et ses pièces sacrées à travers le monde. Aucune surprise de ce point de vue : l’interprétation fut tout simplement extraordinaire. Dès l’entrée des cordes au début du Requiem, on sent que l’orchestre, comme souvent lorsqu’il est dirigé par une personnalité exceptionnelle, va donner le meilleur de lui-même : le timbre soyeux des cordes, relayé par la douce plainte introductive du chœur, instaure d’emblée un climat recueilli qui emplit d’émotion la basilique. Changement de ton pour le passage suivant : a-t-on déjà entendu Dies Irae plus inquiétant, plus angoissant, plus inexorable ? La gestique de Riccardo Muti emporte tout sur son passage, imposant à l’orchestre et au chœur une vive allure (au risque de parfois frôler les décalages), offrant en outre à l’auditeur des images qu’il n’oubliera pas de sitôt (notamment lorsque le chef se retourne alternativement à droite et à gauche pour lancer les échos des trompettes au début du Tuba mirum !). Ce dernier passage permet à la jeune basse russe Ildar Abdrazakov puis, lors du Liber scriptus, à Olga Borodina, de faire entendre des voix somptueuses, sachant jouer habilement avec le moindre silence d’une partition qui, en bien des endroits, renvoie plus à l’opéra qu’au sacré stricto sensu.
Attendu dans le poignant Ingemisco, Ramón Vargas fait montre d’une parfaite retenue (évitant ainsi les interprétations sirupeuses que l’on peut parfois entendre), sachant se mettre au service d’un texte qui implore le pardon de Dieu (« Je gémis comme un coupable ; la rougeur me couvre le visage à cause de mon péché… »). La beauté de ce passage est accrue par la parfaite entente entre voix et orchestre puisque, à la clarté du timbre du ténor, répondent les cordes du National avec une finesse instaurant une atmosphère presque irréelle. Nouveau moment exceptionnel dans le Confutatis où les pizzicati des contrebasses rythment avec douceur la douloureuse complainte conférée à Ildar Abdrazakov, véritable révélation de la soirée, avant que le martèlement du Dies Irae ne reprenne avec une force étourdissante. Outre des solistes vocaux impériaux, le Lacrymosa offre, parmi tant d’autres, un nouvel exemple du travail accompli par Riccardo Muti avec l’orchestre : l’auditeur perçoit avec une surprenante clarté les bassons et le hautbois, sans pour autant que l’édifice ne s’en trouve déséquilibré, l’architecture d’ensemble conservant ainsi une parfaite harmonie.
Sollicité tout au long du Requiem, le Chœur de Radio France, magnifiquement préparé par Matthias Brauer, donne la pleine mesure de ses qualités dans l’Agnus Dei où la douceur des voix le dispute à la fragilité du propos. Si les qualités générales demeurent jusqu’à la fin, on retiendra surtout Barbara Frittoli, qui fait oublier ses quelques accrocs précédents, dans un Libera me d’anthologie. Ce passage, chronologiquement le premier que Verdi ait composé, est le plus éloigné de la liturgie classique, les appels psalmodiques de la soprano renvoyant évidemment à la scène avant que la fugue conclusive ne s’achève dans une attitude de totale soumission à l’égard de Dieu. Barbara Frittoli se montre tour à tour radieuse, possédée, implorante, couvée avec attention par un chef d’orchestre impérial jusqu’à la note ultime. Comme on pouvait s’y attendre, le concert s’achève par un triomphe mérité pour l’ensemble des interprètes, les applaudissements redoublant lors du salut de Riccardo Muti dont l’étoile n’est pas prête de pâlir dans le cœur du public parisien !
Le site du Festival de Saint-Denis
Le site de Riccardo Muti
Le site de Barbara Frittoli
Le site de Ramón Vargas
Le site d’Ildar Abdrazakov
Sébastien Gauthier
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