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Mort et beauté

Lyon
Opéra national
05/23/2009 -  et 24, 26, 28, 30* mai, 1er juin 2009
Benjamin Britten : Death in Venice, opus 88
Alan Oke (Aschenbach), Peter Sidhom (le Voyageur, le Vieux Dandy, le Vieux Gondolier, le Directeur de l’hôtel, le Coiffeur de l’hôtel, le Chef des comédiens, la Voix de Dionysos), Christopher Ainsli (la Voix d’Apollon), Damian Thantrey (Un agent de voyage), Colas Lucot (Tadzio), Katharina Bader (la Mère de Tadzio), Jérémy Kouyoumdian (Jaschiu), Marie-Charlotte Chevalier (la Gouvernante)
Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Martyn Brabbins (direction)
Yoshi Oida (mise en scène)


(© Bertrand Stofleth)


Britten mit évidemment beaucoup de lui dans ce Mort à Venise, dont il ne put diriger la création en 1973 à cause de la maladie qui allait l’emporter trois ans plus tard. Œuvre testamentaire, écrite sur une adaptation de la nouvelle de Thomas Mann par la fidèle Myfanwy Piper, où le compositeur mit beaucoup de lui-même, en particulier sa fascination pour la beauté, incarnée ici par le jeune Polonais Tadzio. L’opéra est un des plus raffinés de Britten, peut-être l’un des moins directement accessibles aussi : rien n’y rappelle l’éloquence de l’opéra, tout se ramène à un monologue du protagoniste, l’ensemble relevant d’une sorte de conversation en musique soutenue par un orchestre peu fourni – Aschenbach n’est parfois accompagné que par le seul piano. On peut ne pas entrer immédiatement dans la partition, mais elle finit vite par séduire, grâce à ses couleurs subtiles, au jeu à la fois douloureux et voluptueux entre la mort et la beauté : ce Mort à Venise paraissait ascétique, il se révèle envoûtant. Inutile de risquer une comparaison avec le film de Luchino Visconti, que Britten, sagement, ne voulut pas voir : c’est autre chose. Et le compositeur anglais eut la bonne idée d’éviter de faire chanter Tadzio, confiant le rôle à un danseur.


Un tel sujet, pour le metteur en scène, est délicat à traiter s’il veut rester dans l’esprit de l’œuvre. Le Japonais Yoshi Oida, qui fut l’acteur favori de Peter Brook, bannit tout pittoresque et choisit l’épure. Le mouvement des vagues sur le fond de la scène a quelque chose d’onirique ; on attendra la fin pour voir s’y refléter des maisons vénitiennes – pas des palais. Le décor se réduit à une sorte de ponton sur l’eau ; par métonymie, les gondoles sont figurées par des rames confiées à des danseurs. On pourrait également se trouver dans un jardin japonais et la production s’apparente un peu à un rituel funèbre oriental, où tout est minimaliste et stylisé, comme finalement la partition de Britten, lui-même très marqué par l’Asie – la musique de Tadzio rappelle les sonorités du gamelan. La direction d’acteurs concilie ainsi l’économie et la précision, comme la chorégraphie de Daniela Kurz, qui transforme les danseurs en gymnastes antiques – pas seulement pour « Les Jeux d’Apollon » au second acte. Est préservé aussi le mystère adolescent de Tadzio, qui n’a rien du Berger du Roi Roger de Szymanowski, magnifiquement incarné par Colas Lucot.


Martyn Brabbins, peu connu en France sinon des amateurs de musique anglaise, dirige un peu le premier acte à la pointe sèche, presque austère dans sa précision analytique, pour libérer au second acte tout le lyrisme de la partition, lui imprimant une tension douloureuse et implacable, notamment dans la scène avec Dionysos. Alan Oke n’a pas la voix à la fois lasse et ambiguë d’un Peter Pears touchant, au moment de la création de Mort à Venise, à la fin de sa carrière. Le personnage est plus incarné, avec des aigus parfois un peu durs – le ténor fut d’abord baryton. Il épouse surtout parfaitement les méandres du récitatif de Britten, portant de bout en bout la représentation. Avec Peter Sidhom, impressionnant par sa facilité à endosser et à caractériser, d’une voix superbe, les sept doubles d’Aschenbach. Christopher Ainslie, en revanche, semble un peu sec en Voix d’Apollon, là où il faudrait un contre-ténor au timbre plus rond.


Mort à Venise succède à la difficile Lulu et au Joueur : l’Opéra de Lyon, cette saison, n’a pas hésité à programmer des œuvres rares. Il les a, surtout, portées au plus haut degré de l’excellence.



Didier van Moere

 

 

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