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Un Werther bien français

Strasbourg
Opéra national du Rhin
05/03/2009 -  et 5, 7, 9, 11, 13 (Strasbourg), 24, 26 mai (Mulhouse)
Jules Massenet : Werther
Paul Groves (Werther), Béatrice Uria-Monzon (Charlotte), Marc Barrard (Albert), René Schirrer (le Bailli), Hélène Guilmette (Sophie), François Piolino (Schmidt), Richard Rittelmann (Johann), Gaël Cheramy (Kätchen), Mario Montalbano (Brühlman)
Les Petits Chanteurs de Strasbourg, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Michel Plasson (direction)
Mariame Clément (mise en scène)


(© Alain Kaiser)


On aura beau dire et beau faire : Werther, c’est un genre, un style et un esprit. Ce qu’avait en partie oublié Bastille et que Strasbourg vient de nous offrir. L’occasion de rappeler, une fois de plus, à quel point les trop grandes salles modernes conviennent peu à ce type d’ouvrage. La qualité de la production strasbourgeoise tient d’abord à la direction de Michel Plasson, qui a obtenu de l’Orchestre de Mulhouse le meilleur de lui-même, sans jamais couvrir les voix. Loin de tirer Werther vers le grand opéra, le chef français privilégie le raffinement des couleurs et des nuances, ne craignant pas d’adopter une lecture intimiste, parfois presque chambriste, jusque dans les déferlements sonores de « La Nuit de Noël », où Kent Nagano ne pouvait s’empêcher de faire du bruit. Rien de tel pour la conversation en musique de certains passages, caractéristique de Massenet et d’un certain opéra-comique français. Mais la subtilité n’exclut pas le théâtre – ce qu’on a parfois pu reprocher à l’ancien directeur de l’Orchestre du Capitole – et son Werther ne cesse d’avancer, jusqu’à la catastrophe.


Il est vrai que, avec la distribution réunie à l’Opéra du Rhin, il jouait sur du velours. Certes René Schirrer, Bailli bonhomme mais pas chenu, François Piolino et Richard Rittelmann, compères joyeux mais pas grotesques, Hélène Guilmette, délicieuse mais pas fade, Marc Barrard, stylé mais pas effacé, qui savent tous comment chanter français sans paraître désuets, ne suscitaient guère de crainte. Qu’allait donner, en revanche, Béatrice Uria-Monzon, pas toujours très convaincante à Genève ou à Lyon, pour cause notamment d’articulation pâteuse et d’émission trop tendue ? Nous sommes heureux de l’écrire : sa Charlotte a considérablement évolué. L’articulation, depuis quelque temps, a fait l’objet d’un travail en profondeur : on comprend tout le texte. L’émission s’est assouplie et allégée : voilà une Charlotte rendue à sa jeunesse, à sa fraîcheur, à sa fragilité, qui ne porte pas, dès le premier acte, tout le poids de son destin. L’air des lettres oscille heureusement entre la déclamation en musique – qu’elle oubliait un peu jadis – et l’air d’opéra proprement dit : à partir de là, l’air des larmes et le « Seigneur Dieu, Seigneur », si opposés, trouvent naturellement leur assise vocale, le second puisant sans effort dans des réserves d’une voix que la nature a voulue aussi puissante, dramatique, sombre. Qu’allait donner, de son côté, Paul Groves, qui n’avait jamais abordé le rôle ? Si le répertoire français lui était déjà familier, Werther n’est plus le Faust de La Damnation et le Julien de Louise le conduisait parfois aux limites de sa voix. Celle-ci semble faite pour le héros goethéen, lui aussi rendu à sa jeunesse, à une sorte d’innocence, à cette nature qu’il n’a pas quittée, d’autant plus désarmé quand Charlotte lui oppose malgré elle la force d’une loi absurde. Rien de las, de blasé, de résigné, rien de névrosé non plus, chez ce Werther poète, superbe de ligne, d’articulation, rebelle à tout accent vériste déplacé, maître presque absolu d’une voix capable de diminuendi dans l’aigu … et qui a parfaitement assimilé le style français : en un mot, l’antithèse d’un Rolando Villazón.


Plutôt que de tomber dans les facilités de la transposition, finissant souvent par relever du cliché, Mariame Clément dit avoir voulu rappeler la distance entre le préromantisme du roman de Goethe et le romantisme tardif de l’opéra-comique de Massenet. Le décor et les costumes de Julia Hansen, tout nous ramène donc au passé – disons, vers 1800. Mais à l’univers de la famille et de la société se superpose la nature, symbolisée par cette forêt omniprésente défilant sous l’œil d’un héros dont elle illustre aussi le destin : quatre actes, quatre saisons, de la promesse de renouveau à la fin des illusions – comme le chante Werther à la fin du troisième acte, lorsque Charlotte l’a repoussé, la nature « prend le deuil » et s’enveloppe dans un linceul de neige. Entre-temps, le monde de Charlotte s’est rétréci, étriqué : la maison d’Albert ressemble à une maison de poupée et la grossesse de Charlotte la rend plus intouchable que jamais. Si l’idée n’est pas neuve, elle est juste, comme la direction d’acteurs. Celle-ci reste cependant bien sage, surtout au début, où elle confine à la platitude : il faut attendre le troisième acte pour que les personnages ne soient plus seulement dessinés, mais vraiment caractérisés, pour que l’on sente, au-delà de la finesse presque pudique du trait, une certaine tension. Là se joue enfin un drame entre trois êtres consumés par un amour qui brise leur jeunesse. Il était temps.



Didier van Moere

 

 

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