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Une version théâtrale du Messie

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
04/10/2009 -  et 13, 14 (Brest), 27, 29 mars, 1er, 3, 6 (Wien), 24, 26, 28, 29, 30 (Nancy) avril 2009
Georg Friedrich Händel : Le Messie HWV 56

Cornelia Horak (soprano), Jennifer Larmore (alto), Topi Lehtipuu (ténor), Florian Boesch (basse)
Arnold Schoenberg Chor, Erwin Ortner (direction), Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction)


Jean-Christophe Spinosi et l’Ensemble Matheus (© Alain Monot)



« Pour le secours aux détenus de plusieurs prisons et le soutien au Mercer’s Hospital de Stephen’s Street ainsi que de l’Infirmerie de charité de l’Inns Quay, le lundi 12 avril [de l’année 1742], sera donné dans la salle de musique de Fishamble Street, le nouveau grand oratorio de Mr Handel intitulé Le Messie, avec la participation des messieurs des chœurs des deux cathédrales – en même temps que plusieurs concertos pour orgue, par M. Handell (sic) ». Cette annonce, parue dans le Dublin Journal du 27 mars, devait devenir célébrissime puisqu’annonçant la création de ce qui demeure l’œuvre vocale emblématique de Georg Friedrich Händel (1685-1759), dont on célèbre cette année le deux-cent-cinquantième anniversaire de la mort.


Exemple type du génie du compositeur (certes, les exemples abondent lorsqu’on se souvient que Salomon fut écrit en vingt jours, Theodora en dix-neuf, Saül en trois semaines !), Le Messie fut composé entre la fin du mois d’août 1741 et la mi-septembre, soit moins d’un mois, sur un livret du célèbre Charles Jennens (1700-1770). La création triomphale de l’œuvre devait consacrer un succès qui ne s’est jamais démenti depuis à tel point que certains n’hésitent pas à résumer Händel à ce seul oratorio. Pour une fois, le livret ne suit pas scrupuleusement un épisode ou un personnage de l’Ancien Testament ; au contraire, il emprunte à divers passages de la Bible, contribuant peut-être à lui conférer la qualification de divertissement, pour reprendre l’expression même de Jennens. Face à la popularité croissante de l’œuvre, les interprétations se sont multipliées au fil du temps, requérant parfois des effectifs pléthoriques (les illustrations sont légion en la matière) alors que, selon les témoignages rapportés lors de la création dublinoise, l’orchestre ne devait pas dépasser les quarante musiciens, les chœurs rassemblant huit chanteurs par partie, soit trente-deux en tout. Tels sont, peu ou prou, les effectifs également adoptés par Spinosi ce soir : quarante-huit choristes et une trentaine de musiciens.


Le grand triomphateur de la soirée fut indéniablement l’Arnold Schoenberg Chor, magnifiquement préparé par Erwin Ortner. Depuis longtemps, on sait qu’il ne s’agit rien moins que de l’un des meilleurs chœurs du monde actuellement en activité, ô combien rompu à ce répertoire qu’il a enregistré sous la direction des plus grands (ainsi du Messie, sous la houlette de Nikolaus Harnoncourt dans un disque paru chez Deutsche Harmonia Mundi en 2005). Ce soir, il a encore prouvé son excellence par la clarté de sa diction (« And the glory of the Lord » au début de la première partie), par l’implication qu’il met à chanter la moindre note (quelle différence d’accentuation et de climats dans le magnifique « Lift up your heads » dans la deuxième partie) et par l’attention portée aux nuances d’une partition qui, une fois de plus, requiert des chœurs de tout premier ordre (à ce titre, le passage « All we like sheep have gone astray » fut absolument renversant).


Or, paradoxe ou pas, les superbes interventions du chœur ont en grande partie éclipsé les solistes qui, il est vrai, n’étaient visiblement pas à leur meilleur ce soir. Si les quatre chanteurs ont tous eu leur moment de gloire, force est de constater que les débuts de chacun d’entre eux furent pourtant périlleux, voire inquiétants. Les premières interventions de Florian Boesch donnent certes à entendre une voix charnue et ample mais peu compréhensible et souvent poussive (« That people who walked in darkness » dans la première partie). S’améliorant au fil de l’oratorio, les indéniables talents de ce jeune chanteur culminent dans le célébrissime « The trumpet shall sound », narrant la venue du jour du Jugement dernier, accompagné de la magnifique trompette naturelle de Serge Tizac. Etoile montante du répertoire baroque (notamment), Topi Lehtipuu se révéla assez neutre même s’il chante son premier air, « Ev’ry valley shall be exalted », avec une innocence de bon aloi, illustrant avec justesse les bienfaits de la venue du Messie sur terre, immédiatement approuvé par le chœur suivant (« And the glory of the Lord »). Jennifer Larmore était peut-être la soliste la plus attendue ce soir tant ses affinités avec Händel sont anciennes, à commencer par sa mémorable incarnation de Jules César dans l’opéra du même nom enregistré sous la direction de René Jacobs (Harmonia Mundi). Et pourtant… Son premier air, « But who may abide », est catastrophique : outre certains problèmes de justesse et d’évidentes tensions techniques, elle ne parvient jamais à être en mesure avec l’orchestre, dirigé il est vrai à une cadence trépidante par Spinosi. Les inquiétudes s’estompent néanmoins, à l’écoute de son aria « O Thou that tellest good tidings » qui irradie et illumine l’ensemble du Théâtre. Son air « He was despised », tiré du Livre d’Isaïe, au début de la deuxième partie, nous rassure totalement : tour à tour poignante, plaintive, douloureuse, elle révèle également de véritables accents de colère, s’insurgeant contre les traitements humiliants infligés à Celui qui doit délivrer les hommes (« Il était dédaigné et méprisé de tous, Homme de douleurs et habitué à la souffrance »). Qu’on nous permette de simplement regretter que ce splendide passage ait été gâché en partie par les toux intempestives de certains spectateurs et, même, deux sonneries de téléphones portables : une fois encore, on se rend compte que le savoir-vivre n’est pas la chose la mieux partagée au monde, y compris au sein des salles de concert. Quant à Cornelia Horak, elle s’acquitte avec grâce de ses différentes interventions, même si elle n’y déploie ni originalité, ni véritable ferveur alors que le texte devrait au contraire l’y conduire, à l’instar de son dernier aria « If God be for us ».


Sur l’estrade, Jean-Christophe Spinosi est une véritable pile électrique : bondissant, nerveux, le visage constamment illuminé par une visible joie de diriger cette œuvre magnifique, il tire de son Ensemble Matheus des sonorités admirables, poussant ses musiciens jusque dans leurs derniers retranchements. On s’étonne donc d’autant plus de certains partis pris stylistiques qui, voulant souligner tel ou tel phrasé, telle ou telle intonation, caricaturent le propos. Ainsi, dans le célébrissime « Hallelujah » concluant la deuxième partie de l’oratorio, il ralentit certaines phrases à l’excès afin, visiblement, d’accentuer le changement de vitesse avec les propos suivants ; or, ce soufflet métronomique ridiculise en partie l’apothéose de l’œuvre, le moment que chacun attend avec impatience. De même, la rudesse de certaines attaques ou la verdeur revendiquée de certaines mélodies, si elles peuvent réussir chez Vivaldi (dont on ne cessera de dire et de répéter que Spinosi est aujourd’hui un des meilleurs interprètes qui soient !), convient mal à la narration d’un oratorio au propos évidemment plus sobre.


A force de restaurer et décaper certains tableaux anciens, on en vient parfois à privilégier la vivacité des couleurs au détriment des tons qui, bien que passés et quelque peu ternis, portent en eux l’histoire de la toile et garantissent leur authenticité : il en va de même en musique. Renouveler l’interprétation est une bonne chose mais, comme dans beaucoup de domaines, avec mesure et sans excès…


Le site de l’Ensemble Matheus
Le site du Chœur Arnold Schoenberg
Le site de Jennifer Larmore



Sébastien Gauthier

 

 

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