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Fatum irlandais Paris Athénée - Théâtre Louis-Jouvet 04/08/2009 - et 18 octobre (Reims), 15 (Lille), 20, 22, 23, 24 (Reims) novembre 2008, 18,19 (Valletta), 27 (Troyes) mars, 3 (Dunkerque), 9, 10*, 11 (Paris) avril 2009 Ralph Vaughan Williams : Songs of Travel (orchestration du compositeur et de Roy Douglas adaptée par Denis Chevallier) – Riders to the Sea
Jacqueline Mayeur (Maurya), Patrice Verdelet (baryton, Bartley), Elsa Lévy (Cathleen), Sevan Manoukian (Nora)
Chœur Thibaut de Champagne, Hélène Le Roy (direction), Orchestre du Grand Théâtre de Reims, Jean-Luc Tingaud (direction musicale)
Christian Gangneron (mise en scène), Marc Delamézière (lumières), Lionel Monier (images), Claude Masson (costumes), Thierry Leproust (décors)
(© Tristan Jeanne-Valès)
On ne peut pas dire que le cinquantième anniversaire de la mort de Ralph Vaughan Williams (1872-1958) ait été célébré avec tout l’éclat qu’il méritait, du moins de côté-ci de la Manche: comme de coutume (Brahms, Bruckner, Mahler, Sibelius...), la France attendra donc pour reconnaître un grand symphoniste. Dans ces conditions, il faut d’autant plus saluer l’initiative de l’Arcal, qui, en coproduction avec le Grand Théâtre de Reims, l’Opéra de Rennes et l’Arcadi, avec l’aide du Théâtre de Sartrouville et en coréalisation avec l’Athénée, présente depuis l’automne dernier deux de ses œuvres. C’est à l’Athénée que s’achève la tournée de ce spectacle: le mois précédent, elle s’est même rendue jusqu’à La Valette, où était née la seconde femme du compositeur, auteur du livret de son dernier opéra, The Pilgrim’s Progress.
Riders to the Sea (1925-1932, créé en 1937) est bien antérieur, mais malgré sa brièveté, c’est le seul qui, au sein d’un catalogue lyrique par ailleurs assez fourni (Hugh the Drover, Sir John in Love, The Poisoned Kiss), ait droit aux honneurs de l’indispensable guide de Piotr Kaminski, selon lequel il n’avait encore jamais été monté en France. Quarante minutes, c’est toutefois évidemment trop peu pour une soirée, et celle-ci débute donc par les Songs of Travel (1904). Ecrites pour chant et piano, ces neuf mélodies sur des poèmes de Robert Louis Stevenson (1850-1894) ont été en partie orchestrées par Vaughan Williams dès 1905, mais c’est l’un de ses élèves, Roy Douglas, qui a achevé le travail en 1962: il restait encore à Denis Chevallier à adapter la partition à l’effectif instrumental – plus réduit – de l’opéra.
Un lever de rideau, au sens propre, puisque Patrice Verdelet, adoptant des postures à la raideur (bob)wilsonienne, chante devant une grande tenture rouge sur laquelle sont projetés aussi bien les textes (en anglais et en français) que des ombres ou des images floues (mer, arbre...) conçues par Lionel Monier: pas toujours entièrement lisibles, les mots tournoient, évoquant parfois des slogans; pas toujours complètement audibles, les paroles tendent à être couvertes par l’orchestre. Quant aux notes, elles avouent encore des influences elgariennes, tout en entretenant des affinités avec Mahler – difficile ne pas penser à la thématique et au baryton des Chants d’un compagnon errant – mais aussi avec l’impressionnisme français.
Enchaîné sans interruption, Riders to the Sea ne s’en traduit pas moins par un changement de registre. Car la pièce (1902) de l’Irlandais John Millington Synge (1871-1909), que Vaughan Williams, une fois de plus inspiré par l’élément marin, a intégralement reprise, dépeint la fatalité qui s’abat sur les hommes des îles d’Aran, comme sur les apprentis de Peter Grimes, plus particulièrement sur la vieille Maurya, qui, après avoir perdu en mer son mari, son beau-père et cinq de ses six fils, n’est plus entourée que du dernier, Bartley, et de ses filles Cathleen et Nora. Quelques jours après la disparition du cinquième fils, l’action décrit la noyade du dernier, prévisible, inéluctable même. Le gris bleuté des costumes de Claude Masson illustre ce climat plombé, de même que les lumières de Marc Delamézière, mais costumes et lumières virent au rouge lorsque le drame se noue: un mélange de réalisme poétique – le décor de Thierry Leproust, haut mur et plan incliné, suggérant un monde à la fois humble et digne – et de tragédie grecque – grâce à la sobre mise en scène de Christian Gangneron. Apre et austère, la musique n’invite pas davantage aux débordements zoliens ou mélodramatiques, car elle n’en rajoute pas dans le pathos: davantage de récit que de chant – ce qui conduit à déplorer le caractère inégalement idiomatique de l’anglais des chanteurs – mais c’est une poignante plainte maternelle qui conclut, résignation confinant au soulagement, accompagnée par un chœur de douze femmes, malheureusement en grandes difficultés de justesse et de timbre. En revanche, l’Orchestre du Grand Théâtre de Reims tire son épingle du jeu, excellemment dirigé par Jean-Luc Tingaud.
Le site de la Ralph Vaughan Williams society
Le site de Jean-Luc Tingaud
Simon Corley
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