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Wagner fait ses gammes

Paris
Théâte du Châtelet
03/27/2009 -  Et les 29 mars, 4, 7 & 9 avril
Richard Wagner : Les Fées
Christiane Libor*/Deborah Mayer (Ada), William Joyner/David Curry (Arindal), Lina Tetruashvili (Lora), Laurent Naouri (Gernot), Salomé Haller (Farzana), Eduarda Melo (Zemina), Laurent Alvaro (Morald), Judith Gauthier (Drolla), Nicolas Testé (le Roi des Fées, Groma), Brad Cooper (Gunther), Neil Baker (Harald), Vincent de Rooster (Un messager)
Les Musiciens du Louvre-Grenoble, Chœur des Musiciens du Louvre-Grenoble, Marc Minkowski (direction)
Emilio Sagi (mise en scène)


(© Marie-Noëlle Robert)


Weber ? Marschner ? Non, Wagner, un Wagner de vingt ans qui, à Würzburg, fait répéter le chœur et se frotte au répertoire. Il a bon estomac : les Allemands, les Français, peut-être même les Italiens, tout cela est digéré dans Les Fées. Digestion parfois un peu lourde : le premier acte se traîne et semble longuet. Mais le reste témoigne d’un brillant savoir-faire, voire, ici ou là, d’une authentique inspiration. En germanisant La Donna serpente de Gozzi – dont, on ne le rappelle guère, s’emparera plus tard Alfredo Casella, le jeune compositeur montre où vont ses goûts : opposition entre deux mondes, métamorphoses, serments brisés, épreuves redoutables, toute-puissance de l’amour, tout cela se retrouvera plus tard. Et Gérard Condé, dans le programme, démontre brillamment que, à lire attentivement la partition, on peut y déceler des éléments annonçant assez précisément l’avenir – le mélomane qui découvre cet « opéra romantique » est surtout frappé, dès l’Ouverture, par un motif ressemblant beaucoup à la fin du futur duo entre Senta et le Hollandais. Une histoire compliquée, où le héros, qui avait attiré la reine des Fées dans le monde des mortels, filera le parfait amour avec elle… chez les immortels. Faut-il s’étonner que Wagner ait maintenu quelques passages comiques, en particulier ce duo de Drolla et Gernot venu tout droit de celui de Papageno et Papagena ? Pas vraiment, après tout : Les Maîtres Chanteurs, certaines pages de Siegfried, qui s’achève aussi par une exaltation de l’amour conjugal, confirmeront qu’il y a bien, chez lui, une veine légère. Quoi qu’il en soit, Wagner, plus tard, rejeta Les Fées, que beaucoup ont découvert à travers l’incomparable enregistrement de Wolfgang Sawallisch (Orfeo, 1983).


Que faire de ces Fées, révélées en concert à l’ORTF en 1968 mais jamais représentées en France, pour les rendre crédibles ? Emilio Sagi, hôte régulier du Châtelet, où il a raté Le Chanteur de Mexico et réussi La Generala, ne veut pas tomber dans le bric-à-brac romantique. Les références avouées à Jeff Koons et à Dan Flavin dépoussièrent le conte et le mettent à distance, une gigantesque rose, dans le décor de Daniel Bianco, représentant l’au-delà des Fées – et l’érotisme. Cela dit, les couleurs du monde des fées, au premier acte, rappellent moins, avec ces roses flashy, le « monde pop » qu’évoque le metteur en scène qu’une revue kitsch – clin d’œil au Châtelet d’antan ? La forêt bleu sombre, au deuxième, paraît plus heureuse dans son abstraction symbolique. Mais l’acte le plus réussi est le troisième, où un énorme lustre de cristal gît renversé sur le sol, à l’image de l’esprit dérangé du héros, alors que la reine des Fées apparaîtra dans un cercle de néon rouge – un Ring, la ceinture de feu emprisonnant Brünnhilde ? Bref, Emilio Sagi, comme d’habitude, parie surtout sur les effets visuels, sur la richesse des costumes de Jesús Ruiz, sur les jeux de lumière d’Eduardo Bravo, domaine dans lequel il ne manque pas d’une certaine virtuosité. Faute d’une vraie vision, cela ne fait pas une mise en scène, comme s’il s’arrêtait en chemin, et l’on cherche en vain ce que dissimule la façade. D’une histoire se situant au carrefour de plusieurs mythes - la lyre qui, au troisième acte, permet de délivrer Ada, ressuscite celle d’Orphée… ou la flûte de Tamino… tout en annonçant sans doute la harpe de Tannhäuser – les enjeux essentiels disparaissent au profit du spectaculaire, la direction d’acteurs restant plus efficace que subtile.


Marc Minkowski, esprit curieux dont l’enthousiasme pour les raretés oubliées ne faiblit pas, met son sens du théâtre au service de ce Wagner juvénile. Après une Ouverture très narrative dont il anime les longueurs, sa direction a du mal à prendre son envol, peut-être à cause de la musique elle-même, tandis que les Musiciens du Louvre-Grenoble trahissent certaines limites – le chœur, en revanche, sera remarquable de bout en bout. Après, tout change ; le chef embrase la partition, dont il exalte le romantisme flamboyant, quitte à parfois perdre un peu dans son élan la maîtrise du tempo et de la dynamique, comme dans le finale du deuxième acte. Cela dit, redonner vie à une telle partition ne va pas de soi et il y réussit, grâce aussi à un art de créer des atmosphères, pierre d’achoppement d’une œuvre où l’on oscille toujours entre deux mondes.


Les Fées sont redoutables pour le couple de héros, dont les épreuves sont aussi vocales et n’ont guère à envier aux grands rôles wagnériens à venir. Arindal, ténor à la fois léger et héroïque, met parfois Wiliam Joyner à la peine. Le timbre est joli, le phrasé aussi, mais la malédiction d’Ada qui a – soi-disant – précipité leurs enfants dans le feu au deuxième acte, le combat contre les esprits au troisième, malmènent le passage et dépassent ses moyens. Du coup, fatigué, bien qu’il ait pourtant bien chanté la scène de folie, il ne peut plus assumer l’épisode de la lyre, où la voix blanchit à partir du haut médium et où le souffle manque, là où il lui faudrait redevenir le ténor lyrique que l’on avait aimé au début. Christiane Libor, en revanche, constitue une révélation – on comprend que Nicolas Joel l’ait élue pour son Ring : une voix de braise, aux registres homogènes, à l’aigu lumineux et insolent, une interprétation incandescente, tout dénote une « grande », un peu à la Eva-Maria Westbroek, aussi à l’aise dans l’élégie que dans la vaillance, qui arrive au bout du rôle en parfaite santé vocale – on rêve de l’entendre dans La Femme sans ombre. Lina Truashvili ne se situe pas sur les mêmes hauteurs : l’air du deuxième acte commence bien, mais la partie rapide la montre à court de colorature. Excellente Salomé Haller, en revanche, Farzana haute en couleur. Les clés de fa appartiennent souvent à l’école française, avec un superbe Nicolas Testé, Roi des fées et magicien, et le magnifique Morald de Laurent Alvaro, très supérieur à Laurent Naouri, qui peine à trouver, en particulier dans le récitatif, l’équilibre entre la ligne et la déclamation.


A supposer que Wagner, plus tard, n’eût pas été Wagner, ces Fées n’en méritaient pas moins qu’on se penchât sur elles.



Didier van Moere

 

 

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