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Carnaval romain

Paris
Salle Pleyel
03/02/2009 -  
György Ligeti : Concert Românesc
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 1, opus 15
Dimitri Chostakovitch : Symphonie n° 5, opus 47

Martha Argerich (piano)
Orchestre dell’Accademia nazionale di Santa Cecilia, Antonio Pappano (direction)


Bien que les orchestres italiens se déplacent très rarement en France, comme s’il était plus difficile de traverser les Alpes que le Rhin, la Manche ou même l’Atlantique, il demeure quand même surprenant d’apprendre que la précédente visite de celui de l’Académie Sainte-Cécile remonte à... 1952. C’est alors Igor Markevitch qui dirigeait, avec un invité de luxe, Arturo Benedetti Michelangeli. On ne rate pas une occasion qui ne se présente que tous les cinquante-sept ans, mais rien de tel pour faire salle comble que de s’adjoindre un autre soliste mythique: Martha Argerich, qui a joué avec l’orchestre à cinq reprises le mois dernier à Rome puis aux Canaries le Premier Concerto (1798) de Beethoven, a décidé voici quinze jours seulement de se joindre à cette soirée parisienne.


Rien d’étonnant, dès lors, à ce que les spectateurs se soient massivement rendus salle Pleyel en ce lundi soir, y compris les célébrités du monde musical, et même au-delà, parmi lesquelles Nicholas Angelich, Michel Blanc et deux des directeurs musicaux des trois grandes formations symphoniques de la capitale – le troisième n’étant autre que Myung-Whun Chung, précédent directeur musical de l’Académie (1997-2005): Christoph Eschenbach et Daniele Gatti, lui-même prédécesseur de Chung à la tête de la formation romaine (1992-1997), qui a célébré en 2008 son centenaire – la fondation de l’Académie Sainte-Cécile remontant quant à elle au temps de Palestrina (1585).


A bientôt soixante-huit ans, la pianiste argentine reste fidèle à sa légende, celle d’un tempérament toujours aussi volcanique. Durant l’introduction orchestrale, sa main droite piaffe d’impatience, mimant les thèmes sur un clavier imaginaire. Et dès que son tour est venu, c’est un ouragan qui déferle sur la partition, assez solide pour résister à ses imprévisibles coups de patte ou à ses impérieux coups d’accélérateur, comme le finale, on ne peut plus scherzando, enlevé à un train d’enfer. Mais son interprétation n’est pas exclusivement survoltée: la couleur et, surtout, le chant n’y perdent jamais leurs droits, que ce soit dans le second thème de l’Allegro con brio initial ou dans le Largo central, qu’elle érige en havre de paix. Les bis sont tout aussi vivifiants, qu’il s’agisse de la Deuxième des quatre Mazurkas de l’Opus 24 (1835) de Chopin ou de la Sonate en ré mineur K. 141 (1750) de Scarlatti, qui apporterait enfin une touche italienne à ce programme si elle n’était de tempérament si ibérique.


La déception vient en revanche de la prestation parfois imprécise des musiciens et de l’accompagnement martial d’Antonio Pappano. En début de programme, son style était déjà tout aussi musclé dans le Concert Românesc (1951) pour orchestre de chambre de Ligeti. «Romanesque», ainsi que le traduit maladroitement le dossier de presse? Pourquoi pas, après tout, si l’on considère l’histoire mouvementée de ces quatre brefs mouvements: composés avant l’exil, leur exécution fut interdite par la censure et le manuscrit est resté longtemps derrière le rideau de fer. Et pourquoi pas aussi «romantique», si l’on songe à la veine expressive, héritée de Bartók et Kodály, de son Adagio ma non troppo? Mais c’est évidemment de Roumanie qu’il est ici question: comme Lutoslawski à la même époque en Pologne, le jeune Ligeti, contraint par les canons esthétiques du régime, n’a guère d’autre ressource que de s’intéresser au folklore. Cela étant, le naturel revient au galop, et l’esprit espiègle de Musica ricercata, recueil exactement contemporain de ce Concert, n’est jamais bien loin, en particulier dans le Presto poco sostenuto conclusif, dont les flonflons tournant à vide s’interrompent pour laisser s’échapper une bouffée d’air poétique.


En seconde partie, la Cinquième Symphonie (1937) de Chostakovitch témoigne également des efforts d’un artiste pour tenter de contourner les oukases politiques. Il y parvint tellement bien en l’espèce que les autorités furent abusées par un propos apparemment rassurant – ou firent semblant de l’être – alors même que le public reçut parfaitement le message, autrement plus ambigu. Dépourvue de ses indispensables arrière-plans, la lecture au premier degré qu’en donne Pappano ne peut donc qu’insuffisamment rendre justice à la noirceur et à l’ironie de l’œuvre. Est-ce un hasard si le chef anglo-italien, reconnu dans le domaine lyrique, directeur musical de Covent Garden depuis 2002, a attendu 2005 pour entreprendre à Rome son premier mandat purement «symphonique»? Car quelques pages assez bien mises en valeur (coda du Moderato initial, début du Largo) ne sauvent pas un Allegretto décoratif et appuyé ou un Allegro non troppo final qui ne résiste pas à la tentation de galoper, avec un enthousiasme tel que sa baguette vole en éclats. L’orchestre, en outre, ne démontre pas plus d’affinités avec ce répertoire. Le déterminisme culturel et national est-il encore si décisif à notre époque? En tout cas, la sonorité manque de la densité et de la profondeur requises dans cette musique.


A défaut d’être judicieusement choisis pour succéder à ce témoignage de l’ère stalinienne, les deux bis permettent au chef de retrouver l’univers de l’opéra et à l’orchestre de faire preuve de bien plus de naturel et d’aisance. De bonne facture, l’Intermezzo de Manon Lescaut (1893) de Puccini laisse cependant la place à la dernière section de l’Ouverture de Guillaume Tell (1829) de Rossini, qui verse fâcheusement dans le grand guignol: dommage de rester sur cette impression de carnaval romain, même s’il est certes presque encore de saison et s’il déclenche une ovation enthousiaste.


Le site de l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile



Simon Corley

 

 

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