About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

L’Empire des sens

Paris
Amphithéâtre Bastille
02/17/2009 -  & 18, 19* février 2009
Philippe Boesmans : Reigen (adaptation Fabrizio Cassol)
Cristina Dietzsch (la Prostituée), Charles Hens (le Soldat), Barbara Kozelj (la Femme de chambre), Fabio Trümpy (le Jeune Homme), Marijje van Stralen (la Jeune Mariée), Pierre Pak (le Mari), Karin Strobos (la Grisette), Pascal Pittie (le Poète), Daphne Ramakers*/Francis van Broekhuizen (la Cantatrice), Roger Smeets (le Comte)
Orchestre de Bezetting Speelt, Winfried Maczewski (direction)
Harry Kupfer (mise en scène)


(© Franck Ferville/Opéra national de Paris)


Donner La Ronde après Yvonne (lire ici) est une excellente idée, à ceci près que Schnitzler a peut-être inspiré à Philippe Boesmans une œuvre plus forte. Quinze ans après sa création, l’opéra en dix scènes du compositeur belge, même présenté dans une adaptation de 22 instruments, fascine toujours autant : il est vrai aussi que Fabrizio Cassol connaît bien son univers, lui qui a fondé l’Ensemble de rock Aka Moon, associé à la composition et à la création du Conte d’hiver, et que son travail a été agréé par le compositeur. Et à la tête d’un ensemble remarquable, Winfried Maczewski, surtout connu comme chef de chœur de l’Opéra, a veillé scrupuleusement, peut-être avec un rien de sécheresse, à restituer tous les détails de la partition, notamment lorsqu’il s’agit d’illustrer crûment par tel ou tel trait instrumental comment on copule ici ou là : promue au rang d’opéra de chambre, l’œuvre ne perd rien de sa théâtralité, l’intimisme de la perspective accentuant l’impression d’implacable enfermement. On continue à sentir tout ce que Boesmans doit à Berg, surtout à celui de Wozzeck, mais aussi à toute une tradition d’opéra, assumant comme rarement ce double héritage, avec parfois ces clins d’œil parodiques décomplexés qui constituent sa marque de fabrique, l’intégration parfaite des différents éléments, jusqu’aux résurgences tonales, évitant la dispersion de l’éclectisme.


Cet enfermement se trouve aussi favorisé par le décor unique de l’Amphithéâtre Bastille, où la modestie des moyens, loin de le brider, a heureusement stimulé Harry Kupfer. Ce lieu unique devient le théâtre des ébats de tous ces couples qui se font et se défont le temps d’un accouplement, la ronde des étreintes s’achevant quand la Prostituée du début se retrouve, à la fin, avec un Comte. La scène n’est plus que le siège de l’empire des sens, auquel nul n’échappe, avant de retourner à son incurable solitude, le corps repu et le cœur frustré. Le metteur en scène allemand s’inscrit dans un expressionnisme cru – il paraît qu’on a préféré renoncer à la projection d’un film porno – où rien ne nous est épargné de la frénésie sexuelle des protagonistes. On pense aussi aux spectacles de cabaret tels que Berlin en offrait entre les deux guerres, qui exposaient ce que cachait la Vienne de Schnitzler : il n’a pas échappé à Kupfer que Reigen, interdit à Munich, trouva refuge sur la scène du Kleines Schauspielhaus de la capitale, où la scandaleuse Gertrud Eysoldt, très liée aux milieux de la psychanalyse, brava l’interdit de la censure. Des jeux de toiles rouges, à la fois rideaux et draps, animent la scène, se mêlent aux corps enlacés des chanteurs, qui à l’occasion se font danseurs – ou techniciens. La production, pourtant, échappe à la vulgarité alors qu’elle ne craint pas l’obscène, notamment parce qu’elle met de la dérision, du grotesque triste dans la ronde d’Eros : c’est par là, aussi, que s’infiltre le tragique de la solitude des personnages.


L’œuvre est bien défendue par les chanteurs de l’Opéra studio Nederland, équivalent hollandais de notre Atelier lyrique, grâce à leur sincérité et leur engagement. Certes, tous ne se montrent pas également à l’aise dans leur rôle et certaines voix restent encore un peu vertes, celle du Soldat de Charles Hens surtout. Côté ténors, le Jeune Homme ou le Poète satisfont davantage, ne serait-ce que par la hauteur de l’émission. Les femmes éprouvent parfois quelque mal à maîtriser la leur, mais Daphne Ramakers est assez impayable en Cantatrice déjantée. Cela dit, c’est l’ensemble qui compte ici, puisque tous sont pris dans le tournoiement de la ronde. De ce point de vue, l’homogénéité de l’ensemble rend bien justice à cette mise en musique des obsessions sexuelles d’un monde à la dérive.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com