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Opéra
01/22/2009 -  et les 25 & 27 janvier, 1er*, 3 & 5 février
Serge Prokofiev : Le Joueur
Alexander Teliga (le Général), Kristine Opolais (Polina), Misha Didyk (Alexeï), Marianna Tarasova (Baboulenka), Eberhard Francesco Lorenz (le Marquis), Andrew Schroeder (Mr Astley/le Joueur malchanceux), Maria Gortsevskaya (Blanche), Vasily Efimov (le Prince Nilsky/le Joueur bossu)
Chœurs et Orchestre de l’Orchestre national de Lyon, Kazushi Ono (direction )
Grzegorz Jarzyna (mise en scène)


(© Jean-Pierre Maurin)


Achevé en 1917, dans une période de troubles, Le Joueur n’eut pas de chance. Ni les chanteurs ni les théâtres n’en voulaient. Quand Prokofiev révisa sa partition en 1927-1928, on n’en voulut pas davantage dans le paradis soviétique. Bruxelles le découvrit en 1929, mais le Bolchoï attendit 1963 et Guennadi Rojdestvenski, qui célébrait ainsi le dixième anniversaire de la mort du compositeur. Paris l’entendit en 1956, en version de concert, grâce à l’infatigable Charles Bruck. La production lyonnaise constitue donc une première française, puisque celle du Mariinski, présentée dans la capitale en 1996 par Valéry Gergiev, était un produit d’importation. Ce Joueur constitue d’ailleurs, avec La Colonie pénitentiaire de Philipp Glass et Le Vin herbé de Frank Martin, une sorte de trilogie consacré par l’Opéra de Lyon à des « héros perdus », thème de sa saison 2008-2009.


Le Joueur est difficile, très difficile même pour tout le monde. Le rythme infernal du jeu secoue un orchestre chauffé à blanc – au troisième acte, l’évocation virtuose des salles de Roulottenbourg relève de l’hallucination musicale. Les chanteurs doivent se plier à une déclamation qui ne ménage guère leur voix et a de quoi mettre à mal celle d’un héros quasi omniprésent, alors que l’orchestre ne semble pas se soucier d’eux. A la fois tragique et grinçante, cette adaptation musicale du roman de Dostoïevski porte bien la signature du Prokofiev le plus corrosif, comme L’Amour des trois oranges et L’Ange de feu.


Nouveau directeur musical de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono avait inauguré son règne par un concert. Le voici pour la première fois dans la fosse, maîtrisant la partition avec une assurance incroyable – c’est un familier de Prokofiev, dont il a gravé à Bruxelles une intégrale des Concertos pour piano avec Abdel Rahman El Bacha. Non content de débrouiller un écheveau polyphonique particulièrement complexe, l’ancien directeur de la Monnaie fouette ses musiciens et tient le public en haleine, dosant parfaitement la dynamique là où guette la tentation du désordre bruyant et de la densité opaque. Il trouve surtout l’équilibre entre une tension jamais relâchée et une souplesse de direction qui dégage les lignes et dévoile les combinaisons de timbre.


La distribution est remarquable d’homogénéité, jusqu’aux petits rôles – essentiels dans un opéra où l’atmosphère du casino ne compte pas moins que les destins qui s’y défont. Le ténor sonore de l’Ukrainien Misha Didyk n’a rien à craindre d’Alexeï, qu’il chante avec insolence, y mettant la folie d’Hermann et en faisant un vrai personnage de Dostoïevski. Autre Ukrainien, Alexander Teliga impressionne par sa superbe voix de basse et campe un Général aussi pitoyable que cupide. Eberhard Francesco Lorenz est parfait en Marquis abusant de la Polina hystérique et douloureuse de Kristine Opolais. Marianna Tarasova tranche sur les Baboulenka vieillissantes où des chanteuses sur le déclin font leur numéro : si elle accuse une pointe d’acidité, la voix rayonne de santé et l’interprétation garde une tenue, une sobriété exemplaires.


Représentant l’avant-garde de la mise en scène polonaise avec Krzysztof Warlikowski, Grzegorz Jarzyna signe une production très réussie, avec une direction d’acteurs précise et juste. Est-on dans l’entre-deux-guerres, dans la nomenklatura des années soixante ou chez les parvenus de l’ère post-soviétique ? Le jeu, le sexe et la drogue y ont en tout cas le même pouvoir délétère et aliénant, à tel point que les personnages, parfois, se muent en automates grotesques. Plongée dans une pénombre où les joueurs semblent danser une chorégraphie d’ombres chinoises, la salle de jeu, à la fin de l’opéra, prend une dimension fantastique. Le beau décor de Magdalena Maria Maciejewska est unique, signe d’enfermement névrotique : chacun ira, sans retour possible, jusqu’au bout de sa nuit.



Didier van Moere

 

 

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